À la première personne

Reviewed by Jane Everett

Nous devons à Patricia Smart des études marquantes sur, entre autres, l’œuvre d’Hubert Aquin (Hubert Aquin, agent double, 1973), l’« émergence du féminin dans la tradition littéraire du Québec » (c’est le sous-titre de son magistral Écrire dans la maison du père, 1988/1990) et Les femmes du Refus global (1998). Son livre le plus récent (2014), sur lequel porte ce compte rendu, propose une autre étude importante, cette fois sur la pratique féminine des genres de l’intime au Québec. À l’origine de ce projet, « un constat désolant » : « […] il y a non seulement relativement peu d’autobiographies de femmes dans la tradition québécoise, mais encore celles qui existent témoignent souvent d’une fragilité identitaire tout à fait à l’opposé de la robuste conscience de soi que l’on associe habituellement au genre ». Si cela est vrai pour les écrits de type autobiographique, il reste que les Québécoises ont pratiqué d’autres formes de l’écriture de l’intime (« […] les annales des communautés religieuses et […] les correspondances et les journaux intimes […] »), qui s’ajoutent au corpus à l’étude. Tous ces textes évoquent, à leur manière, les raisons de l’absence relative constatée : les contraintes sociales, religieuses, matérielles, familiales qui pèsent sur la vie des jeunes filles et des femmes, rendant difficile l’accès à la subjectivité et (à) l’expression de celle-ci.

Patricia Smart nous propose une étude scientifique qui se lit comme un récit, allant et venant entre les vies individuelles telles qu’elles se donnent à lire à travers les abondants extraits et l’évocation de leurs contextes. Sont également convoquées, selon les besoins de la démonstration, les perspectives de critiques littéraires, de théoriciens et théoriciennes des genres et du gender, et de spécialistes de l’histoire (littéraire, culturelle, sociale, etc.). La bibliographie exhaustive dans laquelle Smart a puisé est à cet égard exemplaire.

Le livre est divisé en quatre grandes parties composées de deux à quatre chapitres. L’ordre est essentiellement chronologique, avec quelques recoupements : La Nouvelle-France (les écrits des fondatrices); de 1748 à 1862 (la correspondance); de 1843 à 1964 (le journal intime); de 1965 à 2012 (« L’âge de l’autobiographie »). Les chapitres se concentrent sur une ou quelques figures, mais au fil de son texte, Smart souligne les échos, les filiations, les ressemblances et les différences entre les individus, les époques, les pratiques. Les constantes sont le rapport entre l’accès à l’écriture et à la subjectivité, la conscience des contraintes, l’importance de la mère.

Les auteures étudiées sont religieuses, mères de famille, couventines, journalistes, littéraires — catégories qui ne sont pas toujours étanches — et bon nombre d’entre elles nous sont connues, soit parce que leurs écrits intimes (correspondances, journaux, autobiographies, fictions à caractère autobiographique, autofictions) le sont, soit parce qu’elles ont (eu) une présence « publique », parfois les deux. Mais qu’elles soient bien connues de l’histoire de la littérature québécoise, ou moins bien connues, leurs écrits constituent des témoignages précieux sous maints aspects. L’auteure en résume bien l’intérêt particulier, à la fin de son livre : « C’est peut-être dans les récits de soi que nous nous approchons le plus du point insaisissable où le personnel et le collectif se rencontrent, et où le singulier rejoint l’universel. »



This review “À la première personne” originally appeared in Agency & Affect. Spec. issue of Canadian Literature 223 (Winter 2014): 188-89.

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