Au pays de la camelote

  • Marie-Christine Arbour
    Utop. Éditions Triptyque (purchase at Amazon.ca)
  • Marie-Christine Arbour
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Reviewed by Nathalie Warren

À la lecture de ces romans la redite saute aux yeux : les protagonistes sont des écrivaillons aimant Baudelaire, ils ont été abusés dans leur enfance et cherchent un amant pouvant venir effacer cette souillure et tandis que l’une tentera, une fois, l’expérience de l’amour saphique, l’autre assume pleinement sa bisexualité. Cependant, bien qu’Alice —Chinetoque— et Leucid —Utop— aient de nombreux traits communs, ils réagissent différemment face au désenchantement du monde moderne.

L’auteure fait référence, deux fois plutôt qu’une, à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ainsi qu’au symbolisme de la traversée des miroirs. Ainsi, par-delà les intérêts et les expériences de chacun, d’autres similitudes frappent le lecteur, à commencer par la thématique principale qui est la quête d’un « ailleurs ». Pour Alice, cet ailleurs ne peut résider qu’en un autre, c’est-à-dire qu’elle cherche un homme aux sentiments éthérés, qui saura manifester autre chose que la brutalité des corps et sera pour elle un rédempteur capable de la tenir à l’écart de la vulgarité. Tandis que Leucid, lui, part en Équateur comme un poseur qui souhaite pouvoir dire à qui veut l’entendre qu’il est allé dans la jungle. Preuve, donc, qu’il a vécu quelque chose d’authentique, alors qu’au fond il n’y croit pas et que l’idée de ces vacances relève davantage de son penchant pour l’excentricité.

En effet, au contraire d’Alice, Leucid (anagramme de lucide) est non seulement à l’aise avec la superficialité, mais il la revendique tout en affirmant, à la fin, que son périple lui a fait l’effet d’une « bénédiction païenne ».

Harbour exploite le thème des diktats de la beauté et de la surexposition des corps : d’une part, son héroïne abhorre la jeunesse, coupe ses cheveux et cherche à détruire la féminité en elle tandis que, d’autre part, son personnage masculin, un quarantenaire, craint de vieillir, aime le clinquant et continue de porter sa Rolex dans la jungle amazonienne. Ils sont, l’un comme l’autre, des caricatures et Alice, malgré le fait qu’elle aspire à quelque chose de vrai, n’arrive pas à être par et pour elle-même, c’est-à-dire qu’elle ne sait vivre que dans les yeux d’un autre.

La lecture est lassante et les références culturelles qui parsèment chaque roman pas toujours convaincantes. Les histoires empruntent ici et là à un tape-à-l’œil digne de la presse à scandale. À titre d’exemple : Alice a l’idée de se rendre à un bal costumé déguisée en juive tondue au bras de son amoureux habillé en SS. Les personnages sont en proie à un désir confus de sacré qui l’amène, elle, à s’inventer des sentiments pour des hommes spirituels, lui, à partager le temps d’un voyage le mode de vie d’un peuple animiste. Nous suivons ainsi le quotidien d’êtres plats, côtoyant tous deux ce qu’Harbour nomme elle-même des mystiques de pacotille.

L’écriture ne vient pas sauver les meubles, à moins que cette série de phrases courtes et souvent incomplètes entre lesquelles se glissent des aphorismes philosophico-poétiques témoignent d’une intention stylistique qui nous aurait échappée.



This review “Au pays de la camelote” originally appeared in Agency & Affect. Spec. issue of Canadian Literature 223 (Winter 2014): 121-22.

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