Capriccio vénitien

  • Marc Ory
    Zanipolo. Éditions Triptyque
Reviewed by Chiara Falangola

Zanipolo est un roman bref—le deuxième de Marc Ory, marseillais d’origine et québécois d’adoption—, écrit dans un style précieux qui s’adapte bien à la matière traitée et à l’esprit de l’époque évoquée. Il s’agit de l’histoire de Giovanni et Paolo, deux jumeaux siamois. Zanipolo, surnom vénitien de la Basilique des saints Giovanni (Zani) et Paolo (Polo), est aussi le nom unique que la ville donnera à cet être double. L’histoire se déroule au XVIIIe siècle à l’époque de la Serenissima : Giovanni et Paolo, mystérieux chanteurs d’opéra, arrivent dans une Venise mondaine et cruelle en manque de divertissement. Zani, timide et idéaliste, et Polo, impudent et hédoniste, feront cadeau d’extase et de torture, de soupirs et de plaintes à la ville qui tour à tour les aimera et les condamnera.

La clé de lecture du récit de cet être double se trouve dans l’incipit même du roman, dans le délire énigmatique du mourant Niccolò Guardi, frère du plus célèbre Francesco: « Monstres! Soyez remerciés de nous avoir montrés à nous-mêmes! Il a fallu qu’ils apparaissent, tel le Messie, pour que nous réalisions que nous étions simples et doubles. » Comme la statue équestre du Capitaine Bartolomeo Colleoni sur le Campo de San Giovanni e Paolo, les deux jumeaux s’élèvent au statut de mythe : ils deviennent figure en chair et os de la statue du célèbre condottiere du XVe siècle, révéré comme un être double, mi-cheval mi-homme, recélant dans sa dualité la puissance des deux mondes.
Tout le roman se construit sur l’opposition et la réunion des contraires dans ce capriccio littéraire que semble être Zanipolo. L’émerveillement et l’horreur s’entremêlent au quotidien de Venise et s’écoulent dans ses canaux à l’aide d’une restitution verbale aux tons et aux dégradés des vedute de Francesco Guardi. Seul le sublime de la musique et des voix enchanteresses de Zani et Polo accomplit cette union du sacré et du profane, comme un hapax au milieu des tentatives impossibles de réunions des contraires dont est parsemé le roman.

Entre l’illusion du rêve et l’évocation analeptique de la réalité, le récit des frères Giovanni et Paolo est construit comme un récit enchâssé, dont le cadre est constitué par les chapitres 1, 2 et 34. Ce dernier chapitre rejoint le premier dans l’ambigüité de la frontière entre vision onirique et narration: Zanipolo a-t-il vraiment existé ou ne serait-il qu’une « étrange histoire », une hallucination collective?



This review “Capriccio vénitien” originally appeared in Spectres of Modernism. Spec. issue of Canadian Literature 209 (Summer 2011): 172-172.

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