École et colonisation

Reviewed by Marie Eve Bradette

Power through Testimony, dirigé par Brieg Capitaine et Karine Vanthuyne, et Recalling Recitation in the Americas de Janet Neigh ont en commun un propos central : l’étude de récits scolaires dans des contextes de marginalisation culturelle. Dans le premier texte, le système des pensionnats autochtones au Canada est replacé dans l’histoire coloniale plus large. Dans le second, la récitation est envisagée comme intériorisation d’une langue et d’un récit colonial, puis d’une subversion des discours hégémoniques.

L’objectif du premier ouvrage est énoncé en introduction : revisiter les témoignages des survivants de pensionnats à l’aube de la Convention de Règlement. Puis, un premier chapitre trace l’évolution des représentations historiques des écoles résidentielles canadiennes depuis leur fondation jusqu’à la réémergence des témoignages dans la sphère publique. Pour Wood, ces représentations déclenchent un « théâtre traumatique » dans lequel le gouvernement éprouve de la difficulté à reconnaître les pensionnats comme partie prenante d’une politique assimilatoire. Capitaine propose ensuite une analyse discursive de la Commission de Vérité et de Réconciliation (CVR) et fait ressortir le trauma historique constitué en un théâtre performatif passant rapidement du traumatisme individuel au collectif. Le chapitre de Green et celui de Gaudet et Martin entament un dialogue cohérent à travers la mobilisation d’un champ conceptuel positif. Green fait intervenir la notion d’amour comme levier d’autodétermination lié aux revendications territoriales. Gaudet et Martin mettent en scène la conversation à la fois comme problématique et méthodologie. De l’amour à la conversation, les relations intersubjectives et leurs potentialités agentives apparaissent centrales dans ces deux textes.

Étudiant le cas du pensionnat Shubenacadie en Nouvelle-Écosse, Polliandri illustre, dans le cinquième chapitre, les conséquences de la rupture des liens familiaux dans l’instauration d’un cycle de violence, mais aussi d’une identité collective et partagée : celle du survivant. Par l’observation du contexte inuit du Labrador exclu de la Convention, Molena critique directement la CVR en abordant le rôle des pensionnats dans ce qu’elle nomme le « triple fardeau » inuit. Dans le chapitre sept, traçant un lien entre les conséquences des écoles résidentielles et la Convention de la Baie-James, Vanthuyne articule les divergences narratives entre deux témoignages. Ceux-ci participent ainsi d’une identité crie commune à travers un sentiment de réciprocité. Hughes analyse, quant à elle, des articles de journaux religieux et les documents de la CVR qui contribuent à positionner le « perpétrateur » en victime au même titre que le survivant. L’auteure qualifie ainsi la (ré)conciliation d’externalisation de la culpabilité coloniale. Enfin, Gaver pose une question centrale quant à la difficulté des Canadiens à comprendre les impacts des pensionnats. Au terme de son argumentation, elle conclut que la confrontation de plusieurs épistémologies entérine la possibilité d’une compréhension et consolide la volonté de faire valoir une vérité unique.

Dans Recalling Recitation, Janet Neigh s’intéresse également aux formes hégémoniques des systèmes éducationnels depuis une perspective transaméricaine. L’auteure soutient que la pratique de la récitation a une influence majeure sur le développement de la poésie performative au vingtième siècle. Le livre présente une introduction suivie de trois chapitres consacrés à des écrivains pour ensuite tisser les liens, dans une ultime section, entre les poésies « Dub » et autochtones. Un premier chapitre est consacré au travail de la poète Mohawk E. Pauline Johnson. Neigh y mobilise la théorie postcoloniale du mimétisme (mimicry). Ce concept permet d’aborder la subversion des binarismes identitaires à travers des actes artistiques et la reprise d’un texte classique de la littérature américaine, un poème de Longfellow. Ce dernier a mondialisé la récitation à l’école et a souvent été analysé, dans sa reprise chez Johnson, comme assimilation à l’identité Euro-Canadienne. Neigh propose une autre lecture du travail de Johnson qu’elle considère plutôt comme un acte d’ébranlement. Toujours dans le sillage des théories postcoloniales, l’auteure aborde les textes de Hughes et Bennett. Elle fait appel à la poésie de l’auteur caribéen et ses liens à la récitation pour fonder une pédagogie critique qui dépasse la récitation en devenant un lieu d’agentivité et de lecture communautaire basée sur la différence et le rythme propre à chacun. Enfin, la microlecture des textes de Louise Bennett permet à Neigh de discuter de la subversion poétique des politiques éducationnelles coloniales et notamment d’une conception hégémonique de la langue anglaise acquise à l’école.

Ainsi, les deux ouvrages présentés condensent une critique des institutions et, par l’entremise des témoignages dans Power through Testimony et de la littérature dans Recalling Recitation, offrent des outils d’analyse qui mettent de l’avant la résistance, la survivance et la subversion des lois coloniales.



This review “École et colonisation” originally appeared in House, Home, Hospitality Spec. issue of Canadian Literature 237 (2019): 132-134.

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