Écrire in two languages

  • Catherine Leclerc
    Des langues en partage? : cohabitation du français et de l’anglais en littérature contemporaine. XYZ Éditeur / XYZ Publishing
Reviewed by Catherine Khordoc

L’étude de Catherine Leclerc est déjà en train de faire ses preuves : l’ouvrage était finaliste au Prix du Gouverneur-Général dans la catégorie Essai en 2011, après avoir décroché en 2010 le Prix Gabrielle-Roy, décerné par l’Association des littératures canadiennes et québécoise. Et ce n’est pas étonnant, car cet ouvrage n’est rien de moins qu’impressionnant.

Dans la foulée des études sur le plurilinguisme littéraire, et plus particulièrement le plurilinguisme dans les littératures francophones et québécoise, déblayées notamment par des chercheurs tels que Lise Gauvin, Rainier Grutman et Sherry Simon, Catherine Leclerc ajoute à leurs conceptions du plurilinguisme en se penchant sur la question du « colinguisme ». Il ne s’agit plus d’examiner comment d’autres langues infléchissent la langue du texte, comment elles s’y inscrivent, explicitement ou implicitement, mais où domine, néanmoins, une langue principale. Dans son étude, Leclerc examine des œuvres littéraires dans lesquelles il n’est pas toujours loisible d’établir la langue du texte, mais où cohabitent au moins deux langues de manière à contester la notion de langue principale.

Dans cet ouvrage volumineux, comptant plus de 400 pages, il nous faut signaler avant tout l’envergure du premier chapitre, dans lequel Leclerc passe en revue et analyse les théories et approches liées au plurilinguisme du vingtième et du début du vingt-et-unième siècles. Ce chapitre, auquel est consacré environ un quart de l’ouvrage, présente un outil indispensable à tout étudiant et chercheur qui s’intéresse aux enjeux liés à la question de la ou des langues du texte. Il ne faudrait surtout pas croire qu’il n’y a que Bakhtine qui parle du plurilinguisme; d’ailleurs, si Bakhtine nous a légué un concept riche en potentiel herméneutique, ce n’est peut-être pas le chercheur qui nous fournit les meilleurs outils d’analyse, surtout pour l’analyse de textes littéraires contemporains, issus de situations postcoloniales, transnationales, multiculturelles, diasporiques et ainsi de suite. Leclerc éclairera les nuances qui distinguent des concepts certes apparentés, tels que l’hétérolinguisme de Grutman, la cohabitation des langues de Simon, la surconscience linguistique de Gauvin, et mettra en lumière la portée linguistique des théories de penseurs comme Deleuze et Guattari, Derrida, Régine Robin, Homi Bhabha, Édouard Glissant, François Paré, pour ne nommer que ceux-là. Bref, ce premier chapitre est incontournable pour l’étudiante ou la chercheuse qui s’intéresse aux enjeux linguistiques dans la littérature contemporaine : elle y trouvera les références principales, la terminologie, les différentes réflexions et conceptualisations, utiles soit comme point de référence à ces idées, soit comme point de départ avant d’entamer un nouveau projet de recherche.

Les trois chapitres qui suivent, tout aussi riches que le premier, traitent d’œuvres particulières, dans lesquelles plusieurs langues — notamment le français et l’anglais — cohabitent. Leclerc ne se limite pas à des ouvrages canadiens ou québécois : elle ouvre son analyse en posant son regard sur Between de Christine Brooke-Rose, l’auteure britannique connue pour son écriture expérimentale dans laquelle elle joue constamment avec la et les langues.

Passant ensuite aux écrivains canadiens et québécois dans les troisième et quatrième chapitres, Leclerc examine le manifeste Speak White de Michèle Lalonde, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais qui ne pourrait être absent de cette étude étant donné le caractère bilingue de ce texte, Heroine de Gail Scott et Hellman’s Scrapbook de Robert Majzels — trois textes montréalais où cohabitent le français et l’anglais. Ces deux derniers sont en fait des romans « anglo-québécois », comme le fait valoir Leclerc, dans lesquels s’opère « un travail d’expérimentation sur les lignes de démarcation qui façonnent la communauté [québécoise] ».

Finalement, dans le dernier chapitre, Leclerc affronte l’écriture colingue de deux écrivains franco-canadiens, Patrice Desbiens de l’Ontario et Jean Babineau du Nouveau-Brunswick, qui font résonner les tensions qui existent entre le français, langue minoritaire, et l’anglais, langue dominante, situation où il est impossible d’envisager un revirement dans la hiérarchie.

Ce ne sont pas seulement les prix et honneurs qui prouvent la valeur d’une étude savante; les prix ne sont en fait qu’une reconnaissance de ce qu’est cette étude : sérieuse, rigoureuse, provocatrice et stimulante. Dans une écriture à la fois limpide et érudite, Leclerc parvient à nous offrir un ouvrage savant et lisible, qui se sert d’une terminologie spécialisée, précise et claire. Bref, il y a peu de doute que cette étude de Leclerc deviendra rapidement une référence incontournable.



This review “Écrire in two languages” originally appeared in Canadian Literature 216 (Spring 2013): 173-75.

Please note that works on the Canadian Literature website may not be the final versions as they appear in the journal, as additional editing may take place between the web and print versions. If you are quoting reviews, articles, and/or poems from the Canadian Literature website, please indicate the date of access.

Canadian Literature is a participant in the Amazon Services LLC Associates Program, an affiliate advertising program designed to provide a means for us to earn fees by linking to Amazon.com and affiliated sites.