Esquiver la profession


Alors que Witold Gombrowicz, dans Contre la poésie, s’en prenait à une pratique poétique reniant ses liens avec la prose, Robert Melançon semble lui faire écho avec un titre à saveur de manifeste : Pour une poésie impure. Puisqu’il s’agit d’une collection d’articles, c’est surtout dans la brève préface et dans le « post-scriptum » qu’on trouve une matière polémique. Quant au reste des textes, ils illustrent avec des cas particuliers la conception du poème favorisée par l’auteur, laquelle tend davantage vers la sobriété que les éclats lyriques. En lisant entre les lignes, on pourra cependant apercevoir nombre de ramifications à partir de l’idée du « désoeuvrement » évoquée ailleurs, le produit fini n’étant jamais qu’un reflet d’une intuition première : « Dans le travail de la matière verbale, d’approximations en approximations jamais tout à fait satisfaisantes, l’auteur cherche à s’approcher sans fin du saisissement qui a marqué en lui le passage de la poésie. »

Tout comme son confrère André Brochu, Melançon se montre assez distant, sinon dédaigneux, à l’égard de la poésie récente, trop occupée à s’auto-célébrer, selon lui, et qu’il ne juge tout simplement pas à la hauteur des classiques qui la précèdent. Ce refus, qui interdit en grande partie au regard de se prolonger au-delà des années 1980, s’avère assez peu productif, contrairement à l’éthique de la poésie que développe l’auteur. Que ce soit chez Saint-Denys Garneau — auquel les cinq études initiales sont consacrées — chez Étienne Jodelle ou Emily Dickinson, Melançon admire cette résistance à faire de la poésie une activité professionnelle, en faveur d’une expérience de profonde solitude débouchant sur une fraternité de deuxième degré. « Et tant pis pour la poésie aux mains propres », comme l’écrivait Jacques Brault, auquel est également consacré un texte.

Si la poésie « pure », professionnelle, est ici décriée, c’est au profit d’une pureté d’un autre ordre, qui serait liée à une confrontation gratuite, profonde, avec une dimension poétique issue de l’existence et de la multiplicité des voix, fussent-elles issues de la rue ou encore de la lecture. Les œuvres examinées par Melançon sont valorisées en vertu d’une rigueur ouverte, où la précision extrême de l’écriture s’accompagne d’une exigence d’immédiateté qui court-circuite la visée « fiduciaire », la considération d’un effet ultérieur. Dépouillées, sans prétention excessive, elles ne s’ouvrent à la transaction que grâce à leur maintien devant l’inconnu, à travers « une vie intérieure menée en toute liberté, désencombrée des mesquineries dérisoires qui donnent couleur à une société . . . » (sur E. Dickinson). Et lorsqu’il écrit à propos de Michel Beaulieu, si impliqué dans toutes les facettes du métier d’écrire, il lui pardonne rapidement, rattachant cela à un impératif existentiel dont la force efface tous les compromis. De toute évidence, nous sommes en terre paradoxale, puisqu’il s’agit de rapprocher le poème de la conversation, tout en lui refusant une utilité trop évidente.

À travers ses partis-pris et ses repoussoirs, ce recueil d’essais s’avère un compagnon de lecture en général stimulant, dont le ton à la fois savant et fraternel se fait trop rare dans la production récente. On aurait pu souhaiter davantage d’information sur la provenance des textes, mais cela contribue sans doute à l’unité qui se dégage de cette poétique en fragments, en fenêtres.



This review “Esquiver la profession” originally appeared in Queer Frontiers. Spec. issue of Canadian Literature 224 (Spring 2015): 136-37.

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