L’Autre à partir de soi

  • Kenneth W. Meadwell
    Narrativité et voix de l’altérité : figurations et configurations de l’altérité dans le roman canadien d’expression française. Éditions David
Reviewed by Cassie Bérard

Dans un souci d’approcher la figure de l’Autre selon une perspective identitaire, Kenneth Meadwell s’intéresse aux stratégies narratives et discursives qui soutiennent les relations intersubjectives dans plusieurs romans marquants de la littérature canadienne d’expression française. Ainsi, de Menaud, maître-draveur (Félix-Antoine Savard) au Soleil du lac qui se couche (J.R. Léveillé), en passant par Bonheur d’occasion (Gabrielle Roy), La Belle bête (Marie-Claire Blais), L’Avalée des avalés (Réjean Ducharme), Le Passager (Gilbert La Rocque), La Mémoire de l’eau (Ying Chen), et Cantique des plaines (Nancy Huston), Meadwell offre une lecture de la complexité des figurations identitaires, en se questionnant sur les aspirations des personnages, tant en regard de leur individualité que dans une situation de collectivité. La diversité des romans étudiés et l’ordre chronologique dans lequel il les aborde entretiennent un effet d’évolution au sein de l’ouvrage; cela montre bien que les problématiques identitaires au cœur des romans reflètent les époques historiques dans lesquelles ils s’inscrivent.

Meadwell assoit ses analyses des œuvres sur deux concepts centraux — il parle même de typologie — empruntés à Paul Ricœur. Il s’agit de l’identité-mêmeté, « un concept de relation identique soutenu par la permanence dans le temps », et de l’identité-ipséité, soit « l’identité du soi, de l’individu unique, à savoir de l’Autre ». Dans une démarche relevant volontiers de la sociocritique, Meadwell définit par exemple le désir de mêmeté dans Menaud, maître-draveur comme un projet qui « repose sur le fondement discursif de l’identité québécoise, rurale et isolée, catholique et conservatrice, épousant l’esthétique du roman de la terre, et constitue ainsi l’emblème d’une certaine identité originelle ». L’évolution de la réflexion, par ailleurs, amène Meadwell vers des figures plus près de l’ipséité, notamment dans L’Avalée des avalés, où « l’enfant se présente et se représente en tant que sujet désirant se sauvegarder de toute influence extérieure à sa propre volonté, le maintien de soi étant le principe qui dirige ses paroles et ses actes ». Le schéma se complexifie au fil des analyses et, avec l’identité migrante dans le roman de Ying Chen et celle, métisse, dans l’œuvre de Léveillé, Meadwell éclaire la structuration d’une subjectivité perméable, interculturelle.

Cet essai offre des analyses pertinentes des œuvres choisies, mais pèche parfois par un vocabulaire hermétique et par un excès de circonvolutions savantes. Ce qu’on pourrait expliquer par la rigueur attendue d’un travail universitaire semble achopper au moment de la démonstration des théories avancées. De fait, quelques citations chargées d’éclairer la réflexion reviennent à plus d’une reprise, de telle sorte que l’analyse tend à réduire la portée des œuvres à une petite quantité d’extraits trop souvent réutilisés. Enfin, à l’issue de chaque analyse, une synthèse manque qui aurait su dépasser l’énumération et le résumé. L’hypothèse de départ, forte et cohérente, ne sait être mise en danger ni même en valeur à la clôture de l’ouvrage.



This review “L’Autre à partir de soi” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 178-79.

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