Le Corps du Christ

  • Larry Tremblay
    Le Christ obèse. Alto
Reviewed by Julia Hains

Le Christ obèse poursuit les réflexions théâtrologiques sur la pratique corporelle (le théâtre du corps) entreprises par Larry Tremblay dans ses textes dramatiques antérieurs tels que Le Ventriloque ou encore Abraham Lincoln va au théâtre. C’est cependant le genre romanesque qui accueille ici le travail de la métaphore, que couronne l’oxymoron; le titre, qui installe la figure de ce christ étrangement « obèse », pointe d’emblée un questionnement théologico-philosophique fondamental : qu’aurait été l’histoire sans le sacrifice christique de la chair?

Tout en évitant de verser dans le manichéisme — ou inversement, dans l’holisme —, Tremblay renouvelle, voire pervertit l’articulation indépassable du corps et de l’âme, et de ses corollaires (la douleur, la morale, le bien et le mal) à travers l’étrange relation de fusion / confusion qui s’établit progressivement entre Edgar, trente-sept ans, et Jean, la « victime » qu’il recueille chez lui : il sera son sauveur.

C’est que la découverte de ce « Christ de viande » installe une distance dans le corps d’Edgar, laquelle engendre sa réflexion, sa prise de conscience du « moi », qui se traduit chez lui par le mutisme et le soliloque. Il semble que cette expérience introspective de l’altérité procède d’une certaine analyse de la psyché névrotique et nécrosée, qui trouverait une manifestation dans la notion freudienne d’inquiétante étrangeté; la découverte de la « fille » ensanglantée et empalée du cimetière neuf mois après le décès de la mère d’Edgar suscite chez lui des affects — la pitié, mais principalement la culpabilité — qu’engendre la confrontation au retour de son même, de son semblable. Au fil d’une lecture erratique et labyrinthique — à laquelle participe le recours sensible à l’analepse —, on voit se déployer les complexes infantiles refoulés d’Edgar, qui sont intrinsèquement liés au sentiment que sa mère a voulu se débarrasser de lui à l’âge de deux ans. Le récit fonctionne comme si la mort permettait de dévoiler les squelettes qui habitent la vie du personnage, une vie dominée par une incapacité à changer — attitude symptomatique d’un fatalisme génétique, celui du Fatal Foetus.

L’écriture de Larry Tremblay est anatomique puisqu’elle participe d’un processus de dissection : celui du corps. Ainsi la corporéité d’Edgar se trouve-t-elle éparpillée, décentrée, à l’image de ce Christ en décomposition, en putréfaction. La multiplicité de membres engendrée par cette atomisation du corps, rendue manifeste à travers les intitulés des trente-quatre chapitres du roman, demande à être analysée et recadrée. « Le gâteau », « La perruque », « La barbe », « Le préservatif », etc. constituent autant de morceaux de quotidienneté qui témoignent de la violence perpétrée lors de l’acte « métaphysique » du morcellement, lequel permet de resensibiliser le lecteur, de faire naître le questionnement. Si Le Christ obèse appartient, d’une certaine manière, à la mythologie personnelle de Larry Tremblay, c’est que les motifs associés à la transsubstantiation nous sont livrés avec tous les paradoxes qui les composent et les questionnements qu’ils soulèvent.



This review “Le Corps du Christ” originally appeared in Contested Migrations. Spec. issue of Canadian Literature 219 (Winter 2013): 189.

Please note that works on the Canadian Literature website may not be the final versions as they appear in the journal, as additional editing may take place between the web and print versions. If you are quoting reviews, articles, and/or poems from the Canadian Literature website, please indicate the date of access.

Canadian Literature is a participant in the Amazon Services LLC Associates Program, an affiliate advertising program designed to provide a means for us to earn fees by linking to Amazon.com and affiliated sites.