L’Intellectuel post-national au Québec

  • Alex Gagnon
    Nouvelles Obscurités. Del Busso Éditeur (purchase at Amazon.ca)

Voici un livre fascinant qui mérite l’attention de tous ceux qui souhaitent mieux comprendre la nature des dernières métamorphoses du paysage politique qu’a connu le Québec de la dernière décennie. Nouvelles obscurités comporte quinze courts essais d’Alex Gagnon qui ont d’abord été publiés dans Littéraires après tout, un blogue littéraire dans lequel ce dernier a publié abondamment à partir de l’automne 2010, soit au moment où « il entamait tout juste [s]a maîtrise à l’Université de Sherbrooke. » Essai après essai, Gagnon s’en prend à ce qu’il nomme lui-même « les pathologies de notre temps », dont, sans doute, la manifestation suprême et génératrice des dislocations actuelles de la chose politique, pour reprendre sa terminologie, serait par-delà la politique du gouvernement libéral provincial, la domination du « gouvernement de la dette ». Par sa puissance discursive et son emprise sur l’imaginaire actuel québécois cette nouvelle idéologie politique invite tout un chacun « à capituler devant la réalité, puisque devant elle on ne peut plus rien, puisque l’état des finances publiques ne nous laisse pas le choix. »

« Le discours politique contemporain, écrit-il, est une école de résignation. Le pouvoir se déguise en refus du pouvoir. Souvent présentées comme parfaitement inéluctables, les coupures et compressions budgétaires paraissent ainsi s’imposer d’elles-mêmes et machinalement. Elles semblent émaner d’une transcendance qui n’a manifestement rien de spirituel, mais devant laquelle il faudrait néanmoins plier les genoux, ce qui rend d’ailleurs invisible l’éventail plus large des solutions politiques possibles. » Durant les règnes du gouvernement Charest et, encore plus, du gouvernement Couillard, le politique, au sens de Jacques Rancière et de Pierre Rosanvallon, a été piétiné, broyé, dénaturé par la politique de « l’austérité » et de « la rigueur », par la politique du « payeur de taxes » et du « contribuable »; pire encore, par les impératifs que dictent les « coffres de l’État » ou le « portefeuille » d’un ministère, au point où gouverner est devenu un acte foncièrement financier et, par-là, synonyme du « refus du politique entendu comme capacité d’intervention d’une société sur elle-même. » Triomphe alors dans ce contexte politique et culturel, le cynisme de l’être désengagé qui « ne rêve plus », de celui qui voit « l’engagement comme futile et puéril », de l’être désincarné dont les convictions en lambeaux confinent sa conception du politique au degré zéro de l’acte démocratique, et ce au point de croire que voter aux quatre ou aux cinq ans « condense à lui-seul, et démesurément (c’est-à-dire indûment et frauduleusement) l’ensemble des aspects pluriels de la présence citoyenne. »

À cette dissolution du politique correspond non seulement la prépondérance « de la grande trame cosmique de l’économie » et la confiscation de la rue comme lors de la grève étudiante en 2012, mais, de plus, une « juvénophobie » criante et sans gêne par laquelle s’impose un « paternalisme dédaigneux et méprisant » pour tout projet politique qui ne se résumerait pas au remboursement de la dette ou à l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Ainsi, tous ceux qui pensent encore que la dissolution loufoque du Bloc québécois ou l’agonie actuelle et sans précédent du Parti québécois et, derechef, de la cause indépendantiste, sont des épiphénomènes épisodiques qu’une énième course à la chefferie saura à nouveau corriger, doivent lire attentivement cet essai, car il est produit par un jeune intellectuel brillant pour qui la question nationale n’a plus aucun intérêt de sorte qu’elle ne mérite même plus d’être évoquée dans ses analyses.

Entiché d’une forte sensibilité de gauche pour ne pas dire d’extrême gauche à l’instar des intellectuels péquistes d’autrefois, Gagnon arrive difficilement à peindre le bon peuple québécois et sa jeunesse bouillonnante autrement qu’à genoux et dépossédés par une joute politique lointaine, qui se trame ailleurs au-dessus de lui, étrangère à ses intérêts les plus profonds, quoique dans la logique narrative qui est maintenant la sienne, ce n’est plus la faute du fédéral ou encore moins de celle des Anglais si cette dépossession a toujours lieu! C’est l’économie pure et désincarnée politiquement et nationalement qui trône dorénavant à la verticalité des forces délétères, corrosives et malfaisantes qui brime l’évolution politique de sa province. Machiste, sexiste, autoritaire, cynique, inféodée à l’argent et, dès lors, insouciante de l’écologie et de la réelle nature du système démocratique, telle serait la nouvelle figure du mal à l’ère de l’intellectuel québécois post-national



This review “L’Intellectuel post-national au Québec” originally appeared in Lost and Found Spec. issue of Canadian Literature 236 (2018): 143-144.

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