Quand la fiction rèvéle l’histoire et ses fabrications

  • Louis Hamelin (Author)
    Fabrications: Essai sur la fiction et l'histoire. PUM (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Francis Langevin

L’essai de Louis Hamelin est un codicille à son roman La Constellation du lynx, qu’il vient enrichir d’un questionnement sur le roman, la fiction et l’histoire. S’y retrouvent au surplus des réflexions sur les cellules Chénier et Libération du FLQ, et sur le rôle inductif qu’auraient joué les autorités en amont et durant la crise d’Octobre. Il s’agit d’une lecture suave et parfois ironique qui, à l’instar de la Constellation, refuse le monologisme. Fabrications propose en effet une séduisante mosaïque argumentative faite de plusieurs voix aux tons justes : un Hamelin empirique; un Hamelin fictionnel qui dialogue avec Samuel Nihilo, son alter ego anagrammatique venu du monde romanesque; des citations tirées du roman; des archives déjà citées dans la fiction et retransplantées dans le réel; des conversations avec des sources anonymisées plus vraies que vives; autant d’artéfacts rebrassés à la faveur d’une mise en lumière de la posture herméneutique du romancier historien. La Constellation serait donc « un roman heuristique », une fiction qui aide à organiser l’entropie, mais qui permet surtout, en vertu de la puissance d’évocation du récit et de la vraisemblance romanesque, de se dégager des crispations des parties prenantes qui, depuis 1970, et de l’avis de plusieurs, produisent des récits qui ne tiennent pas toujours la route.

La multiplication des points de vue n’est pas ici un exercice de style. Comme dans La Constellation, Hamelin y réfléchit à partir des postures du romancier (Tolstoï et Mailer), de l’historien-témoin-acteur (Alberto Franceschini), et l’oppose au monologue de l’acteur-témoin-source (Francis Simard ou Mario Moretti). L’essayiste discute ces postures en s’intéressant à la place qu’elles réservent aux subjectivités individuelle et collective, et à la crédibilité qu’on devrait leur accorder. Pour Hamelin, il s’agit d’adopter une méthodologie susceptible de rendre compte d’une masse considérable d’information, de témoignages, de brefs de procès, d’articles de journaux, d’enquêtes, de fictions, de confessions, de rumeurs, sans parler d’une épaisse sédimentation « dans notre mythologie nationale moderne »… Cela voulait aussi dire faire appel aux facultés d’empathie du romancier envers sa culture, à son imaginaire (ce dont parle Mailer), à ses capacités de naviguer dans un univers où se multiplient « des significations et des points de vue » (façon Franceschini), mais en usant du rasoir d’Occam afin de trancher, pour ainsi dire. Hamelin laisse trois belles traces bien nettes qui permettent de décoder La Constellation du lynx et qui posent sur nouveaux frais la question de « l’instrumentalisation de la violence terroriste à des fins de consolidation du pouvoir » au Québec dans les années 1960-70 : 1) Pierre Laporte serait mort accidentellement ; 2) Le FLQ était infiltré, et on a permis, voire facilité, sa radicalisation ; 3) Pierre Laporte aurait pu être sauvé par les autorités.

Trace 1) Laporte serait mort accidentellement lors d’une tentative de « déplacement automobile avorté ». Ceci prouve, affirme le personnage Hamelin, « la non-préméditation d’un homicide qui sera ensuite, dans un pathétique effort de transmutation du non-sens en sens, pour tenter de sauver la face de ces tueurs malgré eux devant l’histoire, présenté comme une exécution. Un mensonge de proportions historiques que le Québec, à travers les silences des papis du FLQ et les œillères des autres, continue de se raconter. »

Trace 2) On a, sinon encouragé, du moins laissé se faire la radicalisation des cellules Chénier et Libération du FLQ, notamment en les infiltrant, ce qui fait dire au personnage Hamelin : « on n’a pas envoyé l’armée parce que deux personnes ont été kidnappées, on a permis que deux personnes soient kidnappées pour pouvoir envoyer l’armée ».

Trace 3) Ici, ce ne semble pas être le personnage Hamelin qui prend la parole : « Les autorités avaient eu la possibilité de le secourir [Laporte], mais ensanglanter les mains d’un mouvement révolutionnaire de gauche, le disqualifiant ainsi à jamais aux yeux d’une population de prime abord sympathique à une partie de ses revendications, représentait un objectif plus souhaitable que la survie personnelle d’un homme politique local, de surcroît compromis par les liens de son appareil électoral avec le crime organisé. » Un accident ? « Le nœud de l’affaire, c’est qu’on permit à cet incident d’arriver ».



This review “Quand la fiction rèvéle l’histoire et ses fabrications” originally appeared in Agency & Affect. Spec. issue of Canadian Literature 223 (Winter 2014): 155-56.

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