Prendre acte. Éditions du Boréal (purchase at Amazon.ca)
Le titre de cette autobiographie donne le ton : témoigner, sans rien renier, de ce qui a été vécu et accompli, notamment aux plans social, politique et amoureux.
Bien que ce récit de vie adopte l’habituelle perspective chronologique, ce sont des lieux, et non des dates, qui en constituent les principaux points d’articulation. L’enfance et l’adolescence se déroulent en Afrique du Nord, dans un pays alors sous domination française et dans un milieu bourgeois, au contact de descendants d’Européens. L’évocation de cette période de la vie d’Andrée Yanocopoulo oscille entre les souvenirs, parfois futiles, d’une jeune fille rangée et la critique d’une existence « tronquée, desséchée » par la volonté maternelle de préserver à tout prix un héritage français. L’auteure grandit dans un environnement à l’écart du monde: « nous étions tenus dans l’ignorance de tout ce qui se passait en dehors de notre petit monde; nous n’avions aucune, mais alors aucune conscience politique; chez nous, tout était orienté vers la France ».
La description des années passées en France est d’autant plus saisissante. Si Yanocopoulo en profite pour s’émanciper du milieu familial, terminer ses études, rencontrer son premier mari et devenir mère, on a le sentiment que cette période est plutôt austère. Les évènements sont relatés sur un ton distant et objectif, comme si l’auteure s’en tenait à une position d’observatrice du monde qu’elle découvre avec un regard d’adulte.
L’installation en Martinique marque une nouvelle rupture pour Andrée Yanocopoulo. D’une part, cette période coïncide avec l’étiolement du sentiment amoureux; d’autre part, c’est là qu’elle « ouv[re] les yeux sur les problèmes sociaux, sur la question de la négritude et sur celle de la colonisation linguistique dénoncée par Fanon ».
La partie du récit intitulée « À Montréal » revêt, bien entendu, un intérêt particulier. L’auteure y témoigne de l’effervescence intellectuelle et politique du Québec aux débuts de la Révolution tranquille (la création des revues Parti Pris et Liberté, la radicalisation de certains militants indépendantistes, etc.). Elle y relate aussi sa rencontre et son idylle avec Hubert Aquin.
Les pages consacrées à cette rencontre et à la vie avec Aquin sont aussi intéressantes qu’émouvantes. Elles contiennent le récit sensible d’une relation qu’on imagine d’une rare intensité et font (re)découvrir un homme hors du commun dont la destinée aura été de traverser l’existence comme un météore.
Bien qu’inexorable, sa fin tragique plonge Andrée Yanocopoulo dans un « [é]tat de vide total ». La poursuite de l’engagement politique, notamment aux côtés des féministes, va l’aider à affronter le désespoir. Plus tard, elle tentera de combler une autre béance dans sa vie en retournant au pays natal, quitté quarante-sept ans plus tôt.
« La question de l’Orient » n’a jamais cessé de tarauder Andrée Yanocopoulo. Elle lui inspire une réflexion délicate sur ce qui oriente une vie :
« Alors, l’Orient?
Il est la lumière du soleil levant, il est la nacre de la perle, il est celui qui me fait exister. Il était toi — car c’est bien ici le temps, et non l’espace, qui gouverne. »
Cette émouvante conclusion ne doit pas être interprétée uniquement comme un repli mélancolique sur ce(lui) qui n’est plus, car, comme l’affirme Andrée Yanocopoulo : « Ma seule nostalgie est celle du futur ».