Les territoires imaginaires. Lieu et mythe dans la littérature québécoise, dirigé par Vanessa Courville, Georges Desmeules et Christiane Lahaie, s’ancre plus précisément dans l’approche géocritique et s’intéresse aux interactions entre l’espace et le mythe comme « révélateurs de l’expérience humaine. » Celui dirigé par Ariane Brun del Re, Isabelle Kirouac Massicotte et Mathieu Simard, L’espace-temps dans les littératures périphériques du Canada, situé plus près des théories bakhtiniennes, propose plutôt d’examiner les liens entre spatialité et temporalité dans les « littératures périphériques » du Canada : les littératures autochtones, lesbiennes et de science-fiction sont d’ailleurs mises de l’avant.
Dans l’ouvrage collectif L’espace-temps dans les littératures périphériques du Canada, les auteurs et autrices cherchent à comprendre comment l’espace et le temps se répondent et s’influencent dans les littératures dites « périphériques », adjectif qui permettrait « de désigner tant les marges d’un centre que les pratiques d’écriture plus marginales. » Revisitant le concept de « chronotope » et souhaitant lui donner plus de visibilité au Canada francophone, les onze chapitres abordent « l’instabilité des rapports » que l’espace et le temps entretiennent dans ces conditions plutôt qu’ils ne réitèrent leur interdépendance. Par exemple, Elise Lepage suggère que le motif du jardin dans Racines de neige, d’Andrée Christensen, met en lumière un jeu poétique entre les plans spatiaux évidents et les temporalités fuyantes de l’endroit en question. Martine Noël propose quant à elle une analyse des figures spatio-temporelles dans la pièce Le Chien, du dramaturge Jean-Marc Dalpé, et dirige notre attention sur la temporalité de la nature et la charge mémorielle des lieux caractérisés par un sentiment d’appartenance. Aussi, pour Mariève Maréchale, les stratégies particulières des écritures lesbiennes québécoises offrent une réflexion nouvelle sur le temps par leur utilisation d’un « tiers espace », lequel permettrait de « nouveaux lieux d’autonomie ». Zishad Lak, par l’étude de trois textes écrits respectivement par l’écrivaine innue Naomi Fontaine, l’écrivaine crie Virginia Pésémapéo Bordeleau et l’écrivain innu Michel Jean, met en évidence comment les littératures autochtones répondent aux enjeux historiques et géographiques de la colonialité en imaginant autrement comment « le territoire façonne ainsi le temps et l’espace de la résurgence » et de la survivance.
Dans Les territoires imaginaires, onze chapitres investiguent la mythification de lieux comme un processus imaginaire de compréhension d’un monde qui, dans la conclusion, se voit surtout caractérisé « par la dysphorie : faute, exil ou fermeture et repli sur soi. » Cherchant à réfléchir le mythe par l’espace formel, l’espace littéraire et les lieux identitaires, les textes ont comme point commun l’idée selon laquelle la fiction et l’espace se sustentent. Par exemple, Sara Bédard-Goulet explore la dynamique entre structure mythique et « inventivité individuelle » dans l’œuvre de Michel Tremblay, et Christiane Lahaie, dans sa contribution, s’attarde au travail de conteur de Fred Pellerin, par lequel il arriverait « à ériger un petit village québécois au rang de lieu mythique. » Le texte de Stéphanie Chifflet étudie quant à lui l’impact du récit initiatique comme stratégie de réécriture de l’histoire et de perpétuation de la mémoire dans Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier. De plus, Maude Deschênes-Pradet analyse la figure de la cave chez Anne Legault, Élisabeth Vonarburg et Esther Rochon, afin de montrer comment certains lieux inhospitaliers permettent une « réconcili[ation] des couples de signifiants en apparence opposés : les origines et la mort, la liberté et l’enfermement, la beauté et la laideur, le recueillement et la peur. » À l’image de ces quelques exemples, chacun des chapitres parvient à « cartographier un pan de ce que serait le territoire mythique propre à la littérature québécoise ».
Ces deux ouvrages soulignent encore une fois que l’espace — mythique, local, ordinaire, souterrain, utopique, symbolique — nourrit l’imaginaire et les études littéraires. D’une part, ils poursuivent le développement nécessaire et interdisciplinaire de l’analyse spatiale en littérature, laquelle ne semble pas s’essouffler. D’autre part, ils offrent, chacun à leur manière, un cadre unique pour l’étude d’éléments spécifiques qui révèlent de nouveaux liens entre l’espace, la littérature, la temporalité et la représentation dans les littératures au Québec et au Canada.