Apprendre à (s’)écrire

  • Micheline Tremblay (Editor) and Guy Gaudreau (Editor)
    Je voudrais bien être un homme : Correspondance littéraire inédite entre Simone Routier et Harry Bernard. Éditions David
Reviewed by Fanie St-Laurent

Simone Routier, une auteure célibataire de vingt-sept ans à l’aube de publier son premier recueil de poèmes, L’Immortel adolescent, et Harry Bernard, trente ans, journaliste au Courrier de Saint-Hyacinthe, marié et père, entretiennent une correspondance de quarante-six lettres entre septembre 1928 et mars 1929. Simone Routier est à la recherche de conseils à la fois sur l’écriture, sur la langue, sur le milieu littéraire, et désire ardemment que son livre soit connu, qu’on en parle dans les journaux, qu’on le critique. Harry Bernard accueille sa vision du métier, lui donne son aide et publie ses textes et des critiques de son travail poétique. Une amitié saine, mais peut-être peu commune entre un homme et une femme à cette époque, se développe entre eux, non sans éveiller les soupçons de l’épouse de Bernard qui parviendra inopinément à mettre fin à leur échanges.

On ne peut que remercier Guy Gaudreau et Micheline Tremblay d’avoir mis au jour cette correspondance inédite entre Routier et Bernard. La recherche préalable est remarquable et dénote un travail d’érudition tant sur le parcours de l’une que sur celui de l’autre. La présentation en début de volume est claire et concise, ne répétant pas les travaux déjà réalisés par d’autres chercheurs. L’accent, ici, est vraiment mis sur la vie des auteurs résumée dans une chronologie, sur la correspondance, sur certains documents explicatifs (poèmes, lettres à d’autres correspondants, illustrations, critiques de L’Immortel adolescent) et sur un substantiel appareil de notes. Concernant les notes, le lecteur qui ne veut rien manquer préférerait sans doute des notes de bas de page, plus conviviales que les notes de fin de volume.

En parcourant Je voudrais bien être un homme, on trouve un nouvel exemple de l’importance du mentorat masculin pour une nouvelle venue dans le milieu littéraire de la fin des années 1920. À l’instar de Laure Conan qui soumet Angéline de Montbrun à l’abbé Henri-Raymond Casgrain et des auteures qui gravitent autour d’Alfred DesRochers (Routier en fait aussi partie), Simone Routier recherche des alliés, des mentors qui lui permettront d’améliorer son style, de faire connaître son travail, mais aussi de s’intégrer dans le milieu littéraire. Les lettres de Routier font ressortir toute sa détermination, ses ambitions et son « âme de gentleman », lesquelles se distinguent de la rhétorique féminine habituelle. Pour un lecteur contemporain, il est aussi impressionnant de constater la place occupée par la poésie dans l’espace médiatique de l’époque, puisque L’Immortel adolescent, une œuvre d’une nouvelle écrivaine, suscite pas moins d’une dizaine de critiques dans les revues et les journaux, dont certaines sont très élogieuses et très complètes.

Enfin, en observant tout le travail, les échanges, les demandes, les lectures qui naissent de la correspondance de Routier et de Bernard, on ne peut que déplorer que leur correspondance cesse abruptement. Avec du recul, on se demande également comment pourront se faire les recherches sur la genèse des textes de création à l’ère du courriel et des programmes informatiques dont la rapide désuétude limite la conservation.



This review “Apprendre à (s’)écrire” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 160-61.

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