Corps à corps

Reviewed by Emmanuel Bouchard

Le deuxième recueil d’Isabelle Gaudet-Labine place au cœur de son propos le partage (avec l’autre ou peut-être avec soi), un partage qui semble d’abord soumis à différentes formes d’empêchement : passivité de l’attente, poids du passé ou du temps, fantômes et blessures. C’est l’appel du corps et de la vie qui permet de briser les résistances; les deux sections centrales du recueil en témoignent. La redécouverte de l’insouciance et de l’abandon nécessaires à l’amour, le sentiment d’urgence, la poursuite de deux êtres, le constant renouvellement de leur rencontre et l’exploration du corps en forment quelques-uns des axes thématiques. Le ton intimiste des poèmes semble acquérir une certaine ampleur au fil du livre; il se pourrait que cela soit attribuable au déploiement de l’espace, qui agit sur les êtres autant qu’il constitue la toile de fond de leur relations : « tu te tiens sur une jambe // entre tes hanches la vie / te place en position / de départ // je m’appuie dans l’espace / que ton pied soulève ». Pour plus de la moitié des textes du recueil, la poète, « humaine entre ciel et terre », s’est inspirée d’une œuvre d’art (Kiefer, Giacometti, Daudelin, MacEwen, Manessier, Goulet, Riopelle, etc.) qui, supposons-le, procure un cadre, un lieu où situer les corps.

Dans Comme une seule chair, Paul Chamberland poursuit sa réflexion sur les questions et les thèmes qui stimulent depuis longtemps son travail de créateur : l’horreur du monde et la barbarie des hommes, l’engagement et le désengagement, le voyeurisme et l’indifférence, la liberté, l’écriture, l’amour, etc. Le poète, dont les publications se comptent par dizaines, expose dans ce dernier livre le paradoxe d’une parole qui permet d’interpréter le réel, mais qui produit aussi sa propre réalité, à l’image du souffle dont l’homme se croit possesseur mais qui « ne [lui] a jamais appartenu ». Est-ce encore cette étrangeté du langage qui fait en sorte que « L’encre remonte le tube [du stylo] / Et  . . .  crache dans la bouche [du poète] / Une rafale de hoquets »? Il y aurait donc une forme d’autonomie du langage poétique qui devient, par endroits, la condition d’une expression débridée et musicale qui n’est pas sans rappeler les expérimentations formelles d’une époque à laquelle Chamberland a appartenu : « Sssrouvre / s’rouvre / en pleine chair / —accuse le coup—/ la trouée la plaie, / l’hémorragie nous éclabousse / tous, / nous tanguons tous / et pas d’issue. » Un livre qui interroge les frontières de la parole.

Marie Bélisle a publié quatre recueils de poésie aux éditions du Noroît. Le dernier, Tout comme ou Les conditions de la luxure, se présente comme une suite de variations formelles sur le thème du corps et de l’amour. Les neuf parties du livre, dont les titres commencent par « comme », présentent chaque fois des textes de structures similaires d’où arrivent à s’échapper la force du désir (parfois contenu, parfois hâtif) et le désordre que peut susciter la passion amoureuse, et cela, malgré l’effet un peu artificiel de la composition : « l’enlacement toutes ossatures imbriquées / lorsque s’oublie consumée la cigarette / éteinte dans la torsion lorsque quelque / (équilibre stabile inclinaison bascule) / transgression de la loi de la pesanteur / réécrite porte à la limite le plan / vertical provoque comme une chute comme / obligée par l’attraction des corps ». De manière plus ou moins convaincante, la fin du recueil se plaît à jouer sur la parenté sonore entre le lux (la lumière) et la luxure évoquée dans le sous-titre. Si, par sa rhétorique particulière, ce livre parvient à disséquer quelques-uns des mouvements propres à l’amour et à la relation charnelle, il échoue à transcender la forme qu’il s’est imposée. Comme si celle-ci faisait écran au sens et à la poésie.



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