La constellation du lynx. Éditions du Boréal
Septième roman de Louis Hamelin, La constellation du lynx s’attaque à l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire du Québec moderne, la crise d’Octobre 1970. Pour aborder cet événement traumatique de la mémoire nationale, l’auteur fait le choix esthétique de la « faction », pratique littéraire qui amalgame faits et fiction et qui a été popularisée aux États-Unis par Robert Coover avec sa célèbre reconstitution de l’affaire Rosenberg. Les pages liminaires du roman signalent cette orientation romanesque en proposant au lecteur une table onomastique qui travestit les noms des acteurs du drame (ainsi Jacques Lanctôt devient Lancelot) et une chronologie réelle des événements, tandis que la page de remerciements témoigne de l’exactitude de la recherche effectuée par l’auteur.
Si le récit s’ouvre sur le meurtre d’un militant indépendantiste qui a caché les frères Rose (ici appelés Lafleur), le véritable ressort diégétique est le décès de Chevalier Branlequeue, poète du pays et professeur à l’UQAM, personnage composite qui emprunte ses traits à Jacques Ferron, Gérald Godin et Gaston Miron. Samuel Nihilo, écrivain dont le patronyme révèle l’idéologie, reprend les travaux de son ancien professeur et mentor, qui cherchait à prouver la collusion des autorités dans la crise d’Octobre. L’enquête de Samuel, qui vit dans la forêt abitibienne des amours intermittentes avec une actrice du nom de Marie-Québec, le conduira à Montréal, en France et au Mexique sur les traces des protagonistes de la crise, notamment Richard Godefroid (alias Francis Simard), l’un des geôliers de Paul Lavoie (alias Pierre Laporte, le ministre québécois mort en captivité).
Roman polyphonique, La constellation du lynx nous fait entendre de nombreux personnages : felquistes, hommes politiques, mafiosi, policiers, militaires, avocats, juges et témoins. Au gré des nombreux allers et retours dans le temps, le lecteur est entraîné dans la préhistoire du FLQ et l’enfance de certains de ses militants, dans la dynamique des cellules Rébellion (Libération) et Chevalier (Chénier), dans les milieux affairistes et politiques corrompus, au cœur des appareils étatiques de répression et de propagande et dans la vie post-carcérale des ex-felquistes. S’il se définit un « conspirationniste réticent », Samuel constituera néanmoins la preuve d’un complot politico-militaire : le gouvernement fédéral aurait infiltré et manipulé le FLQ, sacrifié le ministre Lavoie et provoqué le scénario de la loi des mesures de guerre, planifié depuis longtemps, à la fois pour freiner le mouvement indépendantiste et protéger l’alliance entre Ottawa, le parti libéral du Québec et le crime organisé.
Fresque historique aux accents carnavalesques, récit particulièrement fécond dans sa structure et son style, La constellation du lynx est l’œuvre d’un écrivain accompli. Empruntant à ses romans antérieurs — au Soleil des gouffres par sa thématique conspirationniste et son épiphanie mexicaine, et à La rage par sa thématique animale et la nature thoreauiste de son personnage principal —, Louis Hamelin peaufine sa représentation de héros problématiques dans un Québec incertain. Fidèle à ses habitudes intertextuelles, il convoque de nombreux auteurs et textes pour construire son univers référentiel, parmi lesquels Les justes d’Albert Camus, l’Odyssée, Joyce, Mallarmé et le roman de chevalerie. La constellation du lynx s’affirme ainsi comme un roman doublement mémoriel, sollicitant l’histoire du Québec et la littérature universelle dans une quête complexe d’individuation. Dans une société en perte de repères, l’œuvre de Louis Hamelin dessine une constellation partagée entre l’épique et l’identitaire.