Enfant du XXe siècle

  • Perrine Leblanc
    L’Homme blanc.
Reviewed by Adina Balint-Babos

C’est l’histoire de Kolia, enfant né dans les monts K. en Sibérie et élevé dans les prisons de Staline. L’Homme blanc, avoue Perrine Leblanc, comme « le titre de la seconde période des Enfants du paradis de Marcel Carné et le nom qu’on a déjà donné au Pierrot, au mime ». « Enfant du XXe siècle » parce que son existence couvre le siècle : né en 1936, prisonnier libéré, clown au cirque à Moscou, et finalement, vieux et fatigué en 1995, en quête de Iossif, son premier instituteur du camp, disparu, dont le souvenir le hante et l’accompagne.

« Kolia avait six ans quand ses parents moururent. » Un inconnu du nom de Iossif lui apprit à compter et à écrire en russe, jusqu’au jour où, en 1953, il se réveilla homme libre de s’inventer une vie nouvelle. C’est là, dira-t-on, le parcours classique d’un enfant de la guerre, passant de la misère aux rêves inattendus, d’orphelin à mime talentueux — Kolia prouve au terme de son parcours de la prison à la liberté, qu’il est doué, et surtout qu’il est un artiste.

Dans ce roman, il y a aussi l’histoire d’une génération en URSS : « 1937, 1943, 1953 . . . les grandes purges, la guerre, la fin de Staline ». L’enfant-jeune-adulte Kolia en est le prototype. Son destin est un concentré de contradictions sociales, de ces accidents de la vie qui ont marqué le déclin du terrible empire soviétique. Les quatre parties du roman illustrent merveilleusement « l’entrée de l’Histoire dans la fiction ». Dans un style qui allie l’art du détail et la sensibilité d’un rythme dépourvu de pathos, Leblanc nous livre le mouvement complexe d’une vie d’exception : celle de « l’homme blanc » — le mime sauvé des camps — qui semble porteur de la pureté blanche de l’enfance et de la noirceur de la Sibérie orientale. D’un côté, tout ce qu’il y a de positif dans le devenir-artiste d’un enfant voué à périr dans le goulag et, de l’autre, ce qu’il y a de minable, de pourri dans un régime totalitaire.

Ces deux volets, nourris par la passion pour la Russie de la jeune écrivaine québécoise — lauréate du Grand Prix du livre de Montréal en 2010 — nous font découvrir des lambeaux de l’Histoire de notre modernité, de ses colères, de l’atmosphère à la fois fétide et bouillonnante des années cinquante et de l’après. La tension entre la liberté sauvage de l’imaginaire et la rigueur violente du sujet impose au récit un ton original, inoubliable. Kolia nous « parle » par ses silences : « Ne compare pas : le vivant ne se compare pas ». Ce vibrant épigraphe d’Ossip Mandelstam ouvre le roman et pourrait le fermer, nous laissant songer à la singularité de chaque destin qui fait histoire.

On aurait envie de lire la suite.



This review “Enfant du XXe siècle” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 166.

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