Décombres de la beauté. Éditions du Vermillion
Comme une seule chair. Éditions du Noroît
Bien que leur facture diffère grandement, les recueils Comme une seule chair et Décombres de la beauté témoignent d’un sentiment d’urgence partagé devant les vicissitudes du monde, sentiment duquel découle l’engagement très affirmé de leur auteur respectif.
Ayant pris jadis une part active au combat mené par la revue Parti pris lors du mouvement d’affirmation politique et sociale qu’a connu le Québec des années 1960, Paul Chamberland a adopté depuis un ton peut-être moins virulent, mais ses textes s’emploient toujours à protester contre certains états de faits jugés condamnables. Naissant du rapport à un réel invasif et prenant acte de l’injustice, de la tyrannie, de l’inconscience, de la barbarie sévissant aux quatre coins de la planète d’hier à aujourd’hui, cette parole poétique tente d’éveiller les consciences. Au nom de « la blessure humanité » qu’ils rendent dans toute sa corporéité, les vers de Chamberland adoptent ainsi la forme de questions (« Ça va durer encore longtemps / ce deux trois parmi des milliers / à tirer la sonnette d’alarme? » ou encore : « Ta viande, / qu’en augures-tu? / Elle séduit, / elle s’éteint. »), d’affirmations péremptoires (« La Terre n’appartient pas. / Vous ne refaites pas la loi. »), d’adresses impératives parfois ponctuées d’énumérations éloquentes (« À ton tour de les entendre, / ces syllabes qui ne passent pas : / Abou Ghraïb, / Guantanamo, / Gaza, / Grosny, / Ciudad Juárez / et / Zyklon B. / Regarde-toi faire la roue / au milieu d’un charnier. »), de fables animalières (« Grouille, panse, / prolifère et / bâfre et, grenouille, / ouaouaronne ta réplétion. »). De ces divers procédés, celui qui affiche la plus forte récurrence est sans contredit l’injonction faisant en sorte que la parole – presque aussi politique que poétique – est tout aussi tournée vers celui qui la profère que vers l’autre qui la reçoit, le poète s’adressant ainsi à la sensibilité de chacun pour lui signifier, en somme, que « [l]a marche vers l’éveil n’est pas d’abord un aller / simple pour l’extase mais un tourniquet / de gifles. »
Jacques Flamand, dans Décombres de la beauté, établit lui aussi ce pont entre le poète qu’il est et la société régionale, nationale, et mondiale dans laquelle il s’inscrit. Arborant la mention générique « Poèmes et réflexions », ce recueil entremêle poésie, prose, et citations provenant d’horizons divers—de la Bible et du Coran à Robertson Davies en passant par le marquis de Vauvenargues, Hugo, Vian, et Sartre—, toutes formes d’écriture que combine l’auteur pour livrer ses observations sur les affres des guerres de religions et de civilisations qui mettent à feu et à sang le Moyen-Orient depuis des générations. Dénonçant l’étourdissement généralisé grâce auquel nos sociétés parviennent à oublier les malheurs du monde (« extasiante frénésie / enfin l’anesthésie / ne plus penser »), usant d’ironie pour faire l’éloge de « Lucifer, infaillible guide des humains », fustigeant l’acharnement à détruire des uns tout en déplorant la révolte des autres, il en arrive à dire : « j’ai le haut-le-cœur de vivre / complice des forces de néant / l’être humain sinistre utopie ». Pourtant, même s’il craint par moments de n’être qu’« un pantin de plus / dans la galerie des misères humaines » et en vient à se demander : « l’humanité vaut-elle de persévérer? », il ne désespère jamais complètement devant l’(in)humanité, sachant lire le monde autrement et en saisir la beauté là où elle se trouve, soit d’abord « dans le regard de l’observateur ». Aussi la dernière section du recueil s’attache-t-elle précisément à découvrir le beau « [d]ans la ténèbre des décombres », pour se fermer sur ce vœu : « Puissent artistes, poètes, et hommes et femmes de bonne volonté nous redonner des raisons de vivre et de croire. »