Explorer ciel et grotte

  • Michaël La Chance (Author)
    [mystism]: Terre ne se meurt pas. Éditions Triptyque
  • André Brochu (Author)
    Cahiers d'Icare. Éditions Triptyque
Reviewed by Émilie Théorêt

Deux cahiers, celui des « Choses du jour » et celui des « Voies de nuit »; deux mouvements, l’un ascendant, l’autre descendant. L’écriture permet l’envol du corps. Les mots rédempteurs, comme des plumes, constituent ce premier cahier, ces ailes, qui permettent la haute voltige. Près du soleil, ils traduisent les joies de la chair dans l’amour, le corps généreux d’une femme aimée, la présence de Dieu, l’espoir, la grâce. Dans toute cette lumière « le contraire de la mort n’est pas la vie / mais la montée jusqu’à l’éclat de l’être. »
Ces mêmes ailes de mots, alors qu’elles se déplument, entraînent aussi la chute. Le verbe icarien aborde alors la mort, la misère et l’injustice humaine, la guerre, les horreurs d’Auschwitz, la décrépitude du corps, l’écoulement du temps. Dans toute cette boue, le corps de la chute ressent la vieillesse, le froid, l’imminence de la mort; il sent sous ses pieds, cette terre sanguinolente, emplie des cadavres du passé. Revêtant les allures d’un adieu, les derniers poèmes témoignent de l’approchement du corps vers l’Éternité, vers un paradis sans espoir, vers l’oubli.
Cependant, le désespoir ne l’emporte pas. Tel qu’on le lit en début de recueil, « qu’importe si lavé de tes délires tu te connais en toi / plus proche de la mort et délivré des vanités du planement. » De fait, l’humilité des mots, en reconnaissant la chute, permettent la grâce. En ce sens, les mots ne sauvent-ils donc pas de soi et du désespoir de la fin?
Le voyage dans la verticalité proposé par Michaël La Chance ne constitue pas une perte d’altitude, mais plutôt une exploration du gouffre que chacun de nous constitue. En ce gouffre réside la « poësis originaire », que l’histoire humaine aurait perdue. Le poète propose de quitter le bruit et l’échec de la parole pour aller vers le mutisme. Il s’agit de visiter l’obscurité en laissant derrière soi cette lumière trop vive qui brûle : ce langage trop abusé et devenu insignifiant. En ce creux, il découvre de nouvelles perceptions, quelques filets de lumières : « sous sa voûte d’aplomb le monde brille encore par ses interstices ». Dans ce retour à la matrice, la « Terre ne se meurt pas » : elle continue d’inspirer.
Au travers de cette quête « écopoïétique », le lecteur parcours un univers aux multiples citations, exergues, images et symboles. Le texte abonde et noircit l’espace du livre, sous forme de poésie sur les pages de gauche et sous forme de prose et de métadiscours sur celles de droites. À cela s’ajoute la diversité graphique et les inscriptions phonétiques. La facture fragmentaire et surchargée du recueil témoigne du mouvement des perceptions et du sujet dans la fluidité de la vie. Par ce surplus visuel et sémantique, on est tenté de se questionner sur l’entreprise de l’auteur à faire parler le silence. Car c’est difficilement, au-delà du bruit si fortement imprégné dans l’univers saturé du recueil, qu’il faut tenter d’en trouver la vision.



This review “Explorer ciel et grotte” originally appeared in Prison Writing. Spec. issue of Canadian Literature 208 (Spring 2011): 139-140.

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