Exultation des corps, des coeurs

  • Virginia Pésémapéo Bordeleau
    L'amant du lac. Mémoire d'encrier (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Sarah Henzi

L’amant du lac, de l’auteure métisse cri Virginia Pésémapéo Bordeleau, est le premier roman érotique autochtone à paraître au Québec; mais il s’inscrit dans un mouvement littéraire en expansion, celui de la réappropriation de la beauté des corps, de la sexualité, du désir et de la vulnérabilité. Selon l’auteure Anishnaabe Kateri Akiwenzie-Damm, la littérature érotique a été « séparée, exclue » de la littérature autochtone, et ce à cause d’une sexualité réprimée due à l’oppression politique et religieuse des Premiers Peuples. Cette répression fut, en partie, appliquée lors de la traduction et de la transcription des récits, afin de les rendre plus « convenables » pour un lectorat anglophone. L’écriture érotique a donc deux objectifs pour Virginia Pésémapéo Bordeleau : la réappropriation de l’érotisme et de la beauté des corps, et la célébration de l’intimité et de la vulnérabilité comme aspects fondamentaux de l’humanité. « Célébrer le corps », nous confie l’auteure, « constitue un véritable défi » (quatrième de couverture) : comment, en effet, récrire la souveraineté du corps et du désir à la suite de 150 ans de répression? Pour cela, l’auteure choisit de placer ses protagonistes « dans un monde qui n’a pas encore connu les pensionnats pour Autochtones et les abus multiples des religieux sur les enfants . . . afin de déterrer la graine de la joie enfouie dans notre culture, profondément vivante, échappée du brasier de l’anéantissement ».

Et pourtant, L’amant du lac est contenu — littéralement — par deux viols; le premier, au chapitre 3, voit la jeune Waseshkun — « Éclaircie » — violée par un prêtre. Le deuxième, au chapitre 21, survient quand Gabriel se fait violer à son retour de la guerre. Pourquoi donc cette violence sexuelle au sein d’un roman érotique? « Dans la parenthèse de la violence », confie Pésémapéo Bordeleau, « on raconte la beauté du sexe » : tout comme l’héritage des pensionnats et de l’enfance volée, le traumatisme hérité de la violence sexuelle doit être négocié, cathartique, à travers le récit. Si les chapitres 3 et 21 sont les parenthèses, ce qui se déroule en-dedans est la résurrection du désir et l’exploration du plaisir : l’amour redécouvert et titillé par Wabougouni — petite-fille de Waseshkun, dont le nom fut remplacé par Zagkigan Ikwè lorsqu’après le viol, « sa magie tourna au noir » — et par Gabriel « arrachera de notre lignée le noir souvenir de cet homme dont tu portes la couleur sur tes cheveux, qui me rappellent chaque jour la mort de mon désir et de ma beauté. Transpose en l’enfant que tu portes le désir, le goût de vivre, de sourire, de rire, de jouir! » Gabriel, quant à lui, est réimaginé pour « son rôle d’homme » : celui qui donne du plaisir et non celui qui le prend. Pour Zagkigan Ikwè, tout comme pour Pésémapéo Bordeleau, la « parenthèse de la violence » dévoile ainsi un transfert de pouvoir : l’impudence et l’intrépidité de Wabougouni — car celle-ci est mariée à un autre et enceinte — alors qu’elle « absorbe » son amant — « il ne comprenait pas le sens de cette rencontre, mais acceptait ce moment » — offre une réinscription du plaisir consenti et partagé. La sexualité (re)devient ainsi langage et mémoire relationnelle.



This review “Exultation des corps, des coeurs” originally appeared in Agency & Affect. Spec. issue of Canadian Literature 223 (Winter 2014): 129-30.

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