Graines de logique

  • Lori Saint-Martin
    Mathématique intimes. L'instant même (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Catherine Parayre

Dans Les portes closes (2013), Lori Saint-Martin met en scène un couple d’artistes, Philippe, peintre célèbre, et Catherine, mangée par le silence et avec un goût prononcé pour la transparence des objets et les incendies de ses toiles. Avec Mathématiques intimes, sa quatrième œuvre de fiction, l’auteure prend le parti de Catherine et nous livre des « microrécits » dont la longueur varie entre quelques courts paragraphes et une phrase brève au centre d’une page blanche. Tels de petits poèmes en prose, ils éclairent, en traits rapides mais porteurs de larges pans de vie, des vécus inavoués. Les personnages se succèdent dans la ronde de l’amour, de la solitude, de la vieillesse, des demi-mots, des petits bonheurs et des grandes tristesses du quotidien. Simples esquisses qui s’évanouissent peu après leur apparition, ils sont réduits à une intimité inaccessible aux lecteurs.

Furtivement, on aperçoit des tranches de citron sur une table de café, une femme qui confectionne une délicieuse confiture de fraises, une maison qui s’écroule, une autre qui est à vendre, des princes fatigués qui veulent redevenir grenouilles et des princesses qui se réjouissent à l’idée de reprendre leur liberté. On y rencontre un garçon portant un bidon d’essence, un vieux garçon et sa sœur dans une demeure en feu, des couples qui souhaitent moins d’intimité, un vieil homme bousculé dans la foule, un couple silencieux qui ne se supporte plus, des mères et des filles. On ressent la douleur de se regarder dans un miroir, l’émoi de l’adolescence, l’isolement de la foule dans la station de métro, « le ravissement du vide », des pensées brèves et secrètes, banales ou existentielles. On trace sa propre silhouette dans la rue comme sur la scène d’un crime et on prend des photos – à dix-sept ans, à vingt-cinq ans et à l’automne de la vie.

Ces microrécits nous rappellent que la vie est moins individuelle qu’on aimerait le croire. Les scénarios suggérés, les bribes de réactions exprimées et un style lucide donneront aux lecteurs une déroutante impression de déjà-vu ou de déjà-vécu sous l’effet d’une étrange poésie. Parmi les plus beaux passages, retenons ceux qui se résument à une délicate transparence dans les objets et dans l’air qu’il fait, pour mieux rendre compte de la clarté désabusée de la pensée et de l’émotion. Partout, des zones lumineuses sont reflétées par le verre, l’inox, la neige, les cernes sur une nappe blanche, la pleine lune, la feuille blanche, l’argent fin. On pensera à Diapason (2009) de la franco-canadienne Anne Sechin et à la mélancolie translucide de ses personnages, êtres qui se rencontrent sans jamais se libérer de leur solitude. Les microrécits forment un almanach des petites aventures de la vie; leurs secrets nous invitent à un joli jeu poétique.



This review “Graines de logique” originally appeared in Recursive Time. Spec. issue of Canadian Literature 222 (Autumn 2014): 188.

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