Bad Girl. Actes Sud (purchase at Amazon.ca)
Bad Girl de Nancy Huston se présente sous la forme d’un arbre généalogique linéaire. S’y enchainent de courts chapitres, qui font rarement plus d’une page, semblables à des vignettes dans lesquelles l’écrivaine fait le portrait de ses ancêtres, en remontant jusqu’à ses grands-parents. Ces vignettes font ensuite place au récit de la vie future de Dorrit, l’héroïne autobiographique au nom emprunté à celle d’un roman de Charles Dickens. S’intercale par ailleurs entre le récit du passé et du futur de la petite Dorrit, celui, imaginé, de la grossesse de sa mère. Le texte se finit sur une mise au monde dont au comprend qu’elle est à la fois la naissance d’une petite fille et d’une écrivaine.
Cette structure qui fait alterner récit des autres et récit de soi défend mieux qu’une thèse la conviction au cœur de ce texte, qui semble être que l’autobiographie est intersubjective et intergénérationnelle, ou en d’autres termes, que « je » est les autres, et que les autres font « je ». Ce que confirment les choix stylistiques inhabituels de Bad Girl où l’héroïne s’adresse à elle-même à la deuxième personne du singulier (c’était déjà le cas dans la très belle biographie de Romain Gary par la même auteure) et où le futur récurrent, parfois lourd à la lecture, annonce et prédit le devenir d’une petite fille en écrivaine. Le récit de Nancy Huston est donc une autobiographie d’un genre nouveau qui se concentre sur la généalogie d’une écriture individuelle. Il s’agit pour l’héroïne d’exposer et de comprendre les motifs récurrents de ses écrits – le thème juif, l’avortement ou encore les enfants battus – ainsi que les raisons expliquant son besoin de créer par les mots et par la musique.
Malgré la beauté du texte, l’érudition et l’émotion qui s’en dégagent, on peut reprocher à Bad Girl de verser parfois dans l’apitoiement. Surtout, on peut y lire la construction d’une mythologie personnelle qui puise sa source dans le grand Mythe psychanalytique et psychologique de la famille comme explication et prédestination de l’individu. En ce sens, l’épigraphe du livre empruntée à Roland Barthes est une clé de lecture : « Tout ceci doit-être considéré comme dit par un personnage de roman ». C’est bien un personnage qui retrace dans Bad Girl ses classes de littérature, qui trouve les raisons de son devenir d’écrivaine dans la vie de ses ancêtres, et qui transforme la suite chronologique des évènements de sa vie en un processus logique, en un destin intergénérationnel. On peut donc considérer la citation finale comme un ultime geste de sincérité ou bien comme une dénégation dérangeante qui protège l’incomplétude du récit. Car, qu’en est-il des cours de littérature auxquelles Nancy Huston a assisté dans une salle de classe? Des rencontres autres que celle des membres familiaux qui ont certainement aussi forgé son talent et son écriture? De ses lectures fétiches? De la poésie des mots, du plaisir esthétique des textes particuliers qui l’ont faite écrivaine? Bref, si ce récit est l’histoire de la destinée d’une femme de lettres, on peut lui reprocher de manquer de littérature.