La bataille du livre

  • Jacques Michon
    Histoire de l’e?dition litte?raire au Que?bec au XXe sie?cle, vol. 3 : la bataille du livre 1960-2000. Fides
Reviewed by Olivier Lapointe

La bataille du livre 1960-2000, troisième et dernier tome de l’Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle, vient clore cet ambitieux projet dirigé par Jacques Michon et auquel ont participé plusieurs dizaines de chercheurs et d’étudiants affiliés au GRELQ, le Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec rattaché à l’Université de Sherbrooke.

Michon et ses collaborateurs tracent dans cet ouvrage un portrait détaillé de l’évolution de ce secteur d’activité qui, comme le laisse entendre le titre du volume, fut marqué tout au long de la période ciblée par divers conflits lors desquels les éditeurs québécois durent monter aux barricades afin de défendre leurs intérêts dans « un marché dominé par le commerce de gros et dont la plus grande partie des revenus prov[enait] de la vente d’ouvrages importés ». Ce portrait, pour l’essentiel constitué d’analyses de trajectoires d’éditeurs regroupées selon diverses thématiques, fait intervenir un large éventail d’acteurs du milieu, des grandes maisons généralistes aux petites entreprises confidentielles, en passant par les éditeurs spécialisés en poésie, en littérature jeunesse, en littérature de grande diffusion et en littérature anglophone.
On y trouve aussi, en fin de volume, trois chapitres consacrés à des phénomènes étroitement liés au monde de l’édition littéraire soit la censure, la distribution et la librairie, de même que deux annexes. L’une, très brève, porte sur le livre de poche, tandis que l’autre présente une chronologie des politiques provinciale et fédérale du livre. De nombreuses illustrations et photographies, placées pour la plupart à la fin du chapitre auquel elles sont liées, viennent étayer les propos des chercheurs.

La période couverte par cet ouvrage regroupe deux phases de croissance du milieu du livre québécois. La première, qui s’est étendue du début des années soixante jusqu’au milieu des années soixante-dix, voit l’édition québécoise connaître un essor considérable favorisé par certains facteurs liés au contexte sociopolitique particulier que fut celui du Québec de la Révolution tranquille, facteurs qui se traduisirent par un accroissement significatif de l’interventionnisme étatique et une effervescence intellectuelle hors du commun. Cette dernière a suscité l’apparition de nombreuses maisons d’édition dynamiques et innovatrices qui se sont données pour mission la diffusion massive des nouveaux idéaux laïques, progressistes et démocratiques qui obtenaient à cette époque l’appui d’un nombre croissant d’intellectuels et de citoyens québécois. Cette phase de croissance, qui a aussi vu, dans le secteur de la distribution, s’étioler la domination des libraires grossistes et débuter le règne des distributeurs exclusifs, s’est achevée au milieu des années soixante-dix pour laisser sa place à un essoufflement généralisé du milieu du livre au Québec. Les ventes ont ainsi chuté de façon dramatique et plusieurs maisons d’édition ont été soudainement confrontées à d’importantes difficultés financières.

Afin de remédier à cette situation difficile, de nombreux éditeurs québécois ont, tout en tirant bien souvent profit des programmes d’aide à l’industrie du livre mis sur pied par les deux paliers de gouvernement au début des années quatre-vingt, adopté un virage commercial et investi des genres (instant books, romans grand public, traductions de best-sellers internationaux, etc.) auparavant réservés aux grandes entreprises étrangères. Ils ont ainsi pu s’attaquer à ces dernières sur leurs propres terrains. Les succès commerciaux remportés par ces éditeurs semblent malheureusement avoir favorisé une tendance à la concentration des moyens de production du livre québécois, tendance qui constitue maintenant l’un des principaux obstacles auxquels sont confrontés les éditeurs québécois indépendants.

Le troisième tome de l’Histoire de l’édition littéraire au Québec se caractérise par une cohérence structurelle, une unité de style et une lisibilité qui forcent l’admiration dès lors que l’on prend en compte la multiplicité des sujets traités ainsi que le nombre important de chercheurs impliqués dans la production de l’ouvrage. Ces derniers semblent, par ailleurs, avoir été sensibles à certaines des critiques qui leur avaient été faites à la suite de la parution des tomes précédents et ont, de fait, diminué de beaucoup le nombre de tableaux, de graphes et de statistiques qui alourdissaient quelque peu la lecture des deux premiers volumes. On eût tout de même apprécié un recours plus soutenu à l’analyse quantitative et aux données chiffrées. Quantité d’informations facilement accessibles auraient en effet pu être mises à profit de façon à donner de l’éditeur québécois de la seconde moitié du vingtième siècle un portrait encore plus achevé.

Cette réserve faite, nous croyons important de souligner une dernière fois, en guise de conclusion, la qualité et l’intérêt de cet ouvrage remarquable dont la lecture saura profiter à quiconque s’intéresse à l’histoire littéraire du Québec.



This review “La bataille du livre” originally appeared in Canadian Literature 216 (Spring 2013): 183-84.

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