La Digne Mère

  • Marguerite Andersen
    La mauvaise mère. Prise de Parole
Reviewed by Ariane Gibeau

Les voix de mères, longtemps écartées de la tradition littéraire occidentale, sont désormais très présentes dans nos productions littéraires, culturelles et médiatiques. Jeunes et moins jeunes, les femmes n’hésitent plus à partager leur expérience de la maternité, leurs joies et leurs difficultés. À près de 90 ans, Marguerite Andersen, pionnière des études féministes canadiennes, a décidé de relater elle aussi, sur le mode de la confession, son parcours de mère, de l’annonce de sa première grossesse à aujourd’hui. La mauvaise mère, récit autobiographique rédigé en vers libres et scindé en courts chapitres, revient sur un parcours atypique, fait de voyages, d’absences, de grandes réussites, de colère et de culpabilité.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la jeune narratrice, allemande, se découvre enceinte. Elle s’embarque pour la Tunisie, où habite le père de l’enfant. Entre le quotidien lassant de mère au foyer, l’ennui des tâches à répéter et la brutalité de cet homme étranger, sa colère émerge des ellipses et de la forme fragmentaire, devient fantasme : « Prendre le revolver. / Voir le sang, / souffrir la prison… » Un deuxième enfant naît malgré les tentatives d’avortement et annonce quelques années supplémentaires d’enfermement et de violence conjugale. Mais un voyage impromptu en Allemagne chamboule tout. La mère résignée étudie, travaille, vagabonde, change enfin d’existence… et vit un temps sans ses enfants : « Je suis la mère amputée ». Exilée au Québec, en Éthiopie et aux Etats-Unis, elle refait sa vie avec un autre homme, lutte pour retrouver la garde de ses fils, donne naissance à une fille, devient professeure d’université. La promesse de réunion est pourtant marquée d’autres séparations, dont le départ de l’aîné pour la guerre du Viêt Nam : « La veille de son départ / oui, j’aurais dû lui casser la jambe / j’aurais dû / clouer des planches / contre la fenêtre de sa chambre. » À la fin de sa vie, après les drames et les conflits, la mère, entourée de ses trois enfants, de ses petits et arrière-petits-enfants, fait les comptes, dresse les bilans : « montrer le chemin parcouru / le je dans toutes ses variations / le moi / si étrange. »

L’écriture d’Andersen, retenue et dépouillée, se révèle très efficace dans les descriptions du banal quotidien : cuisine, soins aux enfants, etc. En revanche, la même forme fait tomber à plat certains passages plus denses, comme celui où le fils cadet, resté pendant plusieurs mois auprès de son père pour pouvoir s’amuser avec une bicyclette, avoue à la narratrice qu’il a été battu : ces évènements sont tenus à distance, auraient mérité plus de profondeur. L’ensemble demeure touchant, dévoile la volonté d’une femme de s’investir dignement dans son rôle, d’être tout sauf une mauvaise mère.



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