E?tre ou ne pas e?tre un homme : la masculinite? dans le roman que?be?cois. Éditions David
Au-dela? du nom : la question du pe?re dans la litte?rature que?be?coise actuelle. Presses de l'Université de Montréal
Si les chercheurs en litte?rature au Que?bec ont su approfondir les e?tudes fe?ministes et les recherches sur la femme, le travail sur la masculinite? en est encore au stade du de?frichage. Difficile alors d’imaginer deux chercheurs mieux en mesure de manier la be?che que Lori Saint-Martin et Victor-Laurent Tremblay. Reconnue notamment pour ses travaux sur le fe?minin en litte?rature, Saint-Martin nous livre avec Au-dela? du nom un ambitieux aperc?u du personnage paternel et des rapports parfois complexes qui le lient aux autres personnages. Tremblay, pour sa part, e?tait de?ja? reconnu pour ses analyses de la masculinite? avant de faire paraitre E?tre ou ne pas e?tre un homme, un vaste survol du phallocentrisme au Que?bec.
Pour accomplir ce survol, Tremblay s’inspire des the?ories de l’imaginaire (Durand) et de la tradition de la psychanalyse (Freud, Lacan), sans compter Rene? Girard et E?ric Gans chez qui il puise beaucoup. A? un niveau fondamental, l’ouvrage privile?gie le passage de l’homme de son e?tat naturel a? son e?tat culturel, d’ou? serait issu le cadre imaginaire qui perdure aujourd’hui — c’est-a?-dire tout ce qui est rites, lois et diffe?rence sexuelle. Et c’est suivant cette diffe?rence sexuelle que le masculin serait devenu synonyme de pouvoir. Le premier chapitre du livre s’ave?re une admirable synthe?se des e?tudes queer. Tremblay explique en quoi les manifestations sociales entre humains peuvent e?tre lie?es a? la libido, laquelle n’est plus uniquement synonyme de pulsion sexuelle. De?s lors, le de?sir ma?le se pre?cise en un de?sir de se distinguer de tout ce qui est perc?u comme faible et fe?minin — une tendance qui est loin d’e?tre re?volue et qui n’e?chappe pas a? l’imaginaire que?be?cois. Pour en faire la de?monstration, l’analyse du corpus remonte aux origines et couvre la litte?rature que?be?coise jusqu’a? aujourd’hui. Dans certaines œuvres en particulier (dont notamment Jean Rivard de Ge?rin-Lajoie), la lecture de l’homosocial est loin de manquer de pertinence. Le me?lange des the?ories queer, fe?ministes, de l’imaginaire et de l’intertextualite?, et de l’analyse de la figure de l’e?tranger est on ne peut plus approprie? et porte a? conclure aux bienfaits d’une multiplicite? d’approches. L’e?tude de Tremblay est tre?s comple?te, recouvrant dans autant de chapitres les cinq the?matiques que sont le nationalisme patriotique, la guerre, le sport, le ne?onationalisme et la relation pe?re-fils. Les pages sur la fe?minisation de l’ide?al patriotique dans certains romans du dix-neuvie?me sie?cle ne manqueront pas de convaincre; tout comme, d’ailleurs, l’e?volution des structures masculines dans les romans de la guerre. Le lecteur profitera aussi de la pre?sentation historique et the?orique de l’e?le?ment examine? (le sport, la guerre, etc.) au de?but de chaque chapitre.
Saint-Martin prend en quelque sorte le relais de Tremblay en se penchant sur la figure du pe?re; alors que lui en discute dans son dernier chapitre, elle y consacre tout un ouvrage. Or ce dernier s’ave?re d’emble?e plus accessible. Une certaine souplesse de l’analyse aura comme effet d’admettre que la repre?sentation du pe?re se caracte?rise par sa multiplicite?; c’est ainsi qu’elle se me?tamorphose et re?siste a? la cate?gorisation. L’excellent esprit de synthe?se de l’auteure lui permet, dans une premie?re partie the?orique, de passer en revue de fac?on limpide les e?crits sur le pe?re dans les domaines historique, sociologique et psychanalytique. L’e?tude proprement dite de la repre?sentation du pe?re est divise?e selon la perspective. Une premie?re partie rele?ve ainsi les re?actions face au pe?re dont notamment, dans une vulgarisation remarquable, le proce?s du patriarcat par les fe?ministes que?be?coises. Une analyse du pe?re incestueux est pre?ce?de?e de la confrontation entre une vision fe?ministe et une vision psychanalytique de ce tabou. Si, sur pre?s de 150 pages, la lecture des romans s’attarde du co?te? des enfants-victimes au de?triment de la figure du pe?re proprement dite, il reste que certains chapitres brillent — celui, par exemple, sur le personnage de la fille qui de?sire tuer son pe?re. La quatrie?me partie de l’ouvrage est recentre?e davantage sur le personnage du pe?re, sur son refus de procre?er et sur son de?sir empe?che? d’e?tre pe?re. On de?couvre ensuite que si la me?re se trouve souvent exclue au profit de la relation pe?re-enfant, le deuil de l’enfant aura l’effet d’exacerber les confrontations entre les deux parents. La discussion sur les narrateurs qui font e?tat de la beaute? de la paternite? est d’un inte?re?t tout a? fait particulier; comme le sugge?re Saint-Martin, la notion de paternite? et celle aussi de masculinite? sont nuance?es dans ce type d’œuvre. L’auteure va jusqu’a? conclure, dans le premier des trois derniers chapitres, que la litte?rature que?be?coise nous donne une nouvelle version de ce qu’est un pe?re. Un bon pe?re, s’il rompt souvent avec la norme (voire la loi), aime ses enfants et entretient de bonnes relations avec eux — a? tel point que ce sont eux, avec la me?re, qui ont l’autorite? de juger de la qualite? de la paternite?. Les deux derniers chapitres rele?vent, d’une part, les personnages paternels qui s’e?loignent du fait fe?minin, repliement dans lequel ils entrainent leurs enfants, et, d’autre part, l’e?volution sociale mise en sce?ne par la fiction ou? le pe?re joue un ro?le qui de?passe le ste?re?otype.
Certains lecteurs seront peut-e?tre mal a? l’aise vis-a?-vis des approches adopte?es par Tremblay et Saint-Martin; les notions de patriarcat, de phallocentrisme et de castration symbolique requie?rent une certaine adhe?sion the?orique. Pour quiconque y souscrit, cependant, ne serait-ce que la dure?e d’une lecture, l’expe?rience ne manquera pas de richesse. Dans les deux cas, un nombre e?tonnant d’œuvres litte?raires est passe? en revue : plus de cinquante œuvres e?tudie?es par Saint-Martin, presque trois cents titres mentionne?s dans la bibliographie de Tremblay. Cette richesse fait des deux ouvrages non seulement d’excellents livres de re?fe?rence, mais aussi des outils indispensables pour soit accroitre ses connaissances du corpus que?be?cois, soit mettre a? jour — et en doute — ce que l’ont croit savoir.