Un enfant à ma porte. Éditions du Boréal
Certitudes. XYZ Éditeur / XYZ Publishing and
Le roman de Ying Chen est construit autour d’une femme et son enfant, raconté à la première personne par la femme. Celle-ci est mariée à A., bon bourgeois qu’on a rencontré dans les romans précédents de Chen. L’apparition de l’enfant lui semble un rêve devenu réalité qui lui fera découvrir en elle-même les qualités innées d’une « vraie mère » et devenir de la sorte une « vraie femme ».
Deux mois plus tard, à une soirée tenue pour célébrer la famille élargie, les collègues de A. la traitent comme la mère idéale, à la fois aimante et dévouée, mais en réalité, la maternité lui est une épreuve. Son corps accuse les coups assénés par un quotidien axé sans répit sur celui qui, même quand il s’absente par le sommeil ou autrement, occupe son esprit. L’instinct maternel, conclut-elle, s’oppose à l’instinct de survie individuelle et est donc un instinct suicidaire.
Et pourtant, « avoir un enfant à élever » lui évite de faire ce qu’il lui arrive de faire en l’absence de A., soit, avoue le « je » avant que le récit à proprement parler ne commence, tomber dans un état somnambulique et « devenir squelette ». Cela nous rappelle que dans le récit antérieur que fut la Querelle d’un squelette avec son double, la lutte fut emportée par le double, mais de justesse, tant le « je » chez Chen s’avère un être fragile, divisé, déchiré entre l’ici-maintenant et différents ailleurs rêvés, remémorés ou anticipés. Selon l’épigraphe, cela fait que « nous existons à la fois comme une réalité et comme sa négation, en tant que trace, en tant que rêve, en tant que souvenir ». Le roman traduit cette idée en précisant dès la première page que l’enfant a physiquement habité l’univers de la narratrice « exactement trois cent quatre-vingt-neuf jours ». Sa « disparition » s’avère subite et mystérieuse comme le fut sa parution, mais pour celle dont l’identité s’est construite en partie grâce à lui, en collaboration avec lui, rien de son passage ne sera jamais perdu ou oublié. À force de se fréquenter, la femme et l’enfant ont forgé un espace que le sujet écrivant nomme « cette indicible intimité », mais l’écriture de Chen donne une forme concrète à l’expérience et ce, tout en en révélant l’aspect forcément violent et avec la poésie et la sensibilité qu’on lui connaît.
Certitudes, le deuxième ouvrage de Madeleine Thien, mais son premier roman, partage avec le huitième roman de Chen la préoccupation des mondes autres dont des traces hantent l’ici-maintenant. Chez Thien, toutefois, les ailleurs servent à faire voir une « même » personne sous différents angles, soit à révéler l’incomplétude des connaissances que nous possédons à l’endroit d’autrui et de nous-mêmes. Il en découle la structure de l’ouvrage qui présente d’emblée la mort de son protagoniste pour ensuite raconter sous forme de flashbacks et en faisant entendre plusieurs voix, la vie de ceux qui, de près ou de loin, ont joué un rôle dans l’existence de ce protagoniste. Tous ont eu à faire le deuil d’un ou d’une proche à un moment donné et ce, souvent en gardant en eux l’image fixe d’un aspect particulier de l’être perdu, même s’il s’agit là d’une construction de l’esprit qui, du reste, se modifie avec le temps. La mise en rapport de différents espaces et savoirs apporte les uns aux autres des éclaircissements, mais sans jamais produire un portrait entier ni définitif.
Un numéro précédent de cette revue a publié un compte rendu de la version originale de Certitudes, lui faisant partager la page avec Divisadero de Michael Ondaatje. Ici, sa traduction française, faite par Hélène Rioux, partage la page avec une autre plume renommée. Les comparaisons font ressortir le caractère prometteur de l’écriture chez Thien. Il est dommage, même si l’on sait bien que traduttore est traditore, que Certitudes contienne des maladresses, voire des non-sens que Certainty ne manifeste point.