Entretiens sur l’éloquence et la littérature de Joseph-Sabin Raymond : édition critique. Presses de l'Université Laval and
C’est en véritables pionniers que les éditeurs d’un manuscrit inédit de Joseph-Sabin Raymond (1810-1877) nous convient à une plongée dans l’univers du romantisme canadien et des transferts culturels entre le Canada et la France catholique, contre- révolutionnaire et ultramontaine. On doit à Marc André Bernier et à Marie Lise Laquerre d’avoir exhumé un important texte du dix-neuvième siècle québécois qui, même s’il a dormi d’un sommeil sans rêves des années durant, n’en demeure pas moins le précieux témoin d’une multitude de mutations esthétiques et politiques qui surviennent dans les premières décennies du dix-neuvième siècle.
Écrit entre 1832 et 1834, les Entretiens sur l’éloquence et la littérature de Joseph-Sabin Raymond proposent une synthèse du romantisme catholique principalement inspiré du Génie du christianisme (1802) de Chateaubriand; un romantisme qui s’est élaboré en réaction contre la littérature du dix-septième siècle (entendre le classicisme), jugée encline à brimer l’inspiration, mais surtout contre le dix-huitième siècle, dont la littérature « philosophique » aurait mené tout droit à la Révolution française; thèse contre-révolutionnaire s’il en est une. C’est toute cette époque que ce maître de rhétorique au collège de Saint-Hyacinthe évoque dans ses Entretiens, alors qu’il s’inspire autant des Dialogues sur l’éloquence de Fénelon (1718) que des Soirées de Saint Pétersbourg de Joseph de Maistre (1821). Le lecteur sourira peut-être en songeant que le manuscrit d’un obscur maître de rhétorique puisse avoir aujourd’hui le moindre intérêt. De son vivant, Joseph-Sabin Raymond était pourtant loin d’être un inconnu. Figure importante du monde littéraire québécois au dix-neuvième siècle, il a entretenu plusieurs correspondances avec divers intellectuels tant de France que du Canada et fut au centre de ce long processus ayant visé à bannir de l’enseignement des lettres un large pan de la littérature française d’Ancien Régime, de la même façon qu’il a contribué à faire du Moyen Âge un modèle esthétique et religieux dont le catholicisme canadien-français devait s’inspirer et, de fait, s’inspirera.
Ce texte, que l’on nous donne aujourd’hui à voir dans une édition critique à la fois concise et bien informée, représente bien plus qu’une succession de réflexions élégantes sur l’art de bien dire. Il se veut également le témoin des phénomènes de transferts culturels entre l’Europe et le Canada, puisque les Entretiens sur l’éloquence et la littérature constituent une véritable marqueterie de citations souvent tirées de périodiques français et belges, que les éditeurs ont patiemment relevées et identifiées. La préface éclairante, la transcription minutieuse d’un manuscrit réputé difficile à déchiffrer, l’annotation savante et les belles annexes contenant des lettres de Raymond à La Mennais et à Chateaubriand font de cette édition critique parue dans la collection « L’Archive littéraire au Québec » un modèle à suivre pour quiconque entreprendra de marcher sur les traces des éditeurs de ce texte.