Le me?chant a? l’examen

  • Simon Harel
    Attention e?crivains me?chants. Presses de l'Université Laval

Dans son dernier essai, Simon Harel examine l’e?crivain me?chant pour appre?hender les droits et limites de la fiction litte?raire.

Comme Baudelaire dans ses Fleurs du mal, Simon Harel commence son essai par un avertissement, puisque la pre?face « A? Monsieur L’auteur » anticipe les reproches du lecteur. La me?chancete?, nous dit Harel, n’est ni une notion ni un concept, mais pluto?t un « inventaire e?motionnel . . . disparate ». D’emble?e, le lecteur comprend qu’Attention e?crivains me?chants est un ve?ritable essai : l’auteur y soutient une re?flexion engage?e dans laquelle apparaissent les doutes et les heurts de l’analyse, l’autore?flexion e?tant au cœur de sa de?marche critique.

Le premier chapitre, « E?tre me?chant », de?finit la me?chancete? comme une « posture ». On regrette qu’Harel n’ait pas situe? son propos par rapport aux re?cents travaux de Je?ro?me Meizoz sur les « postures d’auteurs », mais on comprend qu’il conduit volontairement une re?flexion personnelle sur son objet, choix qui se confirme partout dans l’ouvrage. Audacieux, Simon Harel affirme que « celui qui est cruel, celui qui est me?chant, ne le dit pas. Il est, de fac?on de?libe?re?e, dans l’action, dans le geste de la cruaute? », ce qui l’ame?ne a? traiter Maurice G. Dantec, Michel Houellebecq, voire Cioran ou Sade, de « pleutres, de couards » qui « jouent avec le mal ». De fait, la me?chancete? litte?raire, telle qu’il l’imagine, n’est pas « l’expression d’une posture dont la violence coi?ncide avec une certaine de?sin-volture », c’est pluto?t l’impact d’une violence vive qu’il veut de?crire. Pour comprendre le machisme de la violence, Harel met face a? face le principe masculin de la me?chancete?, vu chez V. S. Naipaul, Bernhard, Ce?line ou Artaud, et la subjectivite? au fe?minin, de Linda Le?, Catherine Mavrikakis ou Christine Angot, pour conclure que la me?chancete? « projette hors de soi » le sujet. En effet, la part de jouissance lie?e a? la me?chancete? et la fascination qu’elle exerce, solution a? la « banalite? ambiante », ne se re?ve?le pas proprement masculine.

Dans la ligne?e des travaux du philosophe Cle?ment Rosset, Simon Harel conside?re que les œuvres des e?crivains me?chants nous informent sur la re?alite? pluto?t que de nous en distraire. « La cruaute? du re?el », qui fait l’objet du second chapitre, serait lie?e a? « une politique du pire » a? laquelle participe l’e?criture me?chante. Ceux qui entretiennent un rapport proble?matique au lieu, Naipaul et Chatwin, entre autres, souffriraient d’une « exacerbation sensorielle » — que le critique compare par ailleurs a? celle de Van Gogh ou de Giorgio de Chirico — qui peut mener jusqu’a? la me?chancete?. Les diffe?rentes acceptions du re?el ont des conse?quences sur la production litte?raire et on comprend avec Harel que donner le pouvoir de la cre?ation a? des « de?ne?gateurs d’existence » est dangereux. La gratuite? de l’acte d’e?criture est illusoire selon lui, l’autofiction se re?ve?lant ainsi un e?cueil du litte?raire.

Les trois chapitres suivants — « De l’e?corche?-vif a? l’emporte?-vif », « Homme-machine, homme-phe?nix » et « Culture et cre?puscule » — proposent une lecture de la me?chancete? fortement influence?e par la psychanalyse, Simon Harel s’imposant de nouveau dans son champ de recherche a? la frontie?re des e?tudes litte?raires et des e?tudes culturelles. Il interpre?te les pulsions et les fantasmes du me?chant en conside?rant l’intole?rance comme le fondement de la me?chancete?. La me?chancete? qui concorde avec une « rede?finition de nos espaces de vie » est un machinisme qui ne va pas sans une certaine re?gression selon Harel, ce qui l’ame?ne a? marquer une pause pour avouer son trouble.

Les deux derniers chapitres de l’essai questionnent « La place de l’autre » et « Les conse?quences de l’abjection ». On comprend alors que « la me?chancete? extravertie, la plupart du temps intempestive, le ressentiment seraient une pathologie sociale de l’inte?riorite? ». Profonde?ment affective, cette litte?rature me?chante pousse le lecteur a? vivre au plus pre?s de ses « limites psychiques », et souvent lui fait mal, pour repenser les rapports de la re?ception.

A? terme, Simon Harel ne pro?ne pourtant pas la censure des œuvres me?chantes quoiqu’il n’ait pu, dit-il, ignorer le malaise qui l’habite a? leur lecture. Sa conclusion sur le « Bon usage de la me?chancete? » demande toutefois si on peut enseigner la me?chancete?, le risque e?tant de cre?er des e?tudiants endurcis, insensibles. L’essai se conclut ainsi comme une invitation a? la re?plique, une ouverture au dialogue, comme si tout dans cet essai, jusqu’a? sa structure me?me, luttait contre la contamination de son objet, intole?rant et intole?rable.



This review “Le me?chant a? l’examen” originally appeared in Indigenous Focus. Spec. issue of Canadian Literature 215 (Winter 2012): 172-73.

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