Le théâtre à Montréal

  • Sylvain Schryburt
    De l’acteur vedette au théâtre de festival : Histoire des pratiques scéniques montréalaises 1940-1980. Presses de l'Université de Montréal
Reviewed by Jean-Marc Larrue

Cet ouvrage propose un tableau détaillé d’une partie de l’activité théâtrale montréalaise entre 1937 (et un peu avant) et le début des années 1980. Il s’agit d’une période de grande effervescence qui mérite effectivement l’attention des chercheurs. Sylvain Schryburt a choisi une approche de type linéaire, organisée autour de trois « régimes théâtraux » successifs, celui de « l’acteur vedette », celui du metteur en scène et celui du « collectif », pour rendre compte de ce demi-siècle au cours duquel le théâtre montréalais serait passé d’un état embryonnaire à celui d’institution solidement implantée, l’ère du « Théâtre québécois ». Cette évolution repose, selon l’auteur, sur le développement de la mise en scène. Schryburt accrédite ainsi la thèse des modernistes — le père Émile Legault en tête — qui ont fait de ce concept de mise en scène l’un des fondements de la modernité théâtrale mais qui ont, en même temps, largement ignoré, voire déprécié, ce qui les a précédés ou qui ne correspondait pas à leur conception du théâtre (ce que Schryburt semble assimiler, dans le cas montréalais, à ce qu’il nomme « théâtre populaire », sans le définir davantage). En ce sens, son étude minutieuse d’un « certain » théâtre montréalais vient enrichir et réactiver un discours historien né il y a plus de cinquante ans avec l’essai de Jean Hamelin, Le renouveau du théâtre au Canada français (paru en 1961), et relayé par l’étude phare de Jean-Cléo Godin et Laurent Mailhot sur le « théâtre québécois » en 1970. L’organisation et les arguments de Schryburt en sont une mise à jour approfondie, qui les enrichit et les renforce, mais est-elle opportune? On s’étonne, vu l’abondance des recherches menées depuis lors, qu’on puisse encore réduire une réalité théâtrale si riche et si complexe à trois « régimes », d’autant plus discutables qu’ils sont successifs, et qu’on ne soit pas plus critique à l’égard de la perspective moderniste et ses arguments clés : il n’existe pas de définition simple et universelle de la mise en scène. Si Pierre Dagenais et le père Émile Legault faisaient des mises en scène, que faisaient donc Gratien Gélinas ou Julien Daoust?

Reprenant à son compte ce que le père Legault avait dit avant lui — et qu’ont répercuté Bélair, Godin et Mailhot —, Schryburt minimise ce qui a précédé l’année de fondation des Compagnons de Saint-Laurent (1937). Étonnant paradoxe puisqu’il ne s’intéresse a priori qu’au théâtre professionnel. Consacrant la première partie de son ouvrage à une analyse très sensible de l’œuvre des Compagnons et de celui de l’Équipe de Pierre Dagenais, il ignore complètement ce qui pourtant faisait courir les foules à la même époque (parfois sur la même scène, celle du Monument-National de Montréal) : les revues Fridolinons de Gratien Gélinas! Rien non plus sur le burlesque et les drames populaires qui remplissaient le Saint-Denis et le Théâtre National. Cette Histoire des pratiques scéniques montréalaises 1940-1980 (c’est le sous-titre de l’ouvrage) se limite donc, pour une bonne part, au théâtre de la modernité telle qu’elle s’impose à Paris. Des autres manifestations (non parisiennes) de la modernité, pas un mot : celle, par exemple, du Montreal Repertory Theatre qui produit également des spectacles en français et mobilise des artistes francophones (dont Gélinas), celle des théâtres montréalais non francophones (anglophones et yiddish en particulier).

À la constellation Compagnons-Équipe-Théâtre du Nouveau monde répond, en deuxième partie d’ouvrage, celle des Apprentis sorciers-Égrégore-Saltimbanques-Théâtre du Nouveau monde. C’est dire la place prépondérante qu’occupe cette institution découlant de l’œuvre des Compagnons dans cet essai historique. L’étroitesse du propos déçoit, mais la finesse et la précision des analyses esthétiques et des analyses de stratégies sont très intéressantes.

L’ouvrage se termine avec l’avènement du théâtre québécois et du Jeune Théâtre. On s’étonne que Jean-Claude Germain (les Enfants de Chénier et le Théâtre du Même nom [TMN]), qui occupe un rôle central dans cette période tumultueuse, soit exclu de l’analyse sous prétexte qu’il dispose d’une scène fixe! De la même façon, l’auteur balaie des troupes majeures comme l’Eskabel, Omnibus, les Enfants du paradis (qui deviendra Carbone 14), la Veillée, les troupes de femmes et les troupes pour jeune public, sous prétexte qu’elles ne font pas partie du Jeune Théâtre. Ce motif est plus que discutable et l’exclusion de certaines de ces troupes marquantes de Montréal réduit considérablement la portée de cette « histoire des pratiques montréalaises » qui se termine d’ailleurs sans que la question des festivals (voir le titre) ne soit vraiment abordée.

On le sait, l’histoire du théâtre est complexe, celle du théâtre au Québec l’est plus encore en raison de la multiplicité des influences qui s’y exercent, de la nature de ses publics et de leurs langues. On ne peut espérer ni tout dire ni tout couvrir, il faut faire des choix.

Le premier mérite de Schryburt est d’avoir rassemblé en un même ouvrage des informations qui se trouvaient dispersées dans des publications diverses réparties sur plus de cinquante ans. Le second est d’avoir enrichi et approfondi ces informations, de les avoir mises en contexte avec rigueur et précision. Mais on regrette qu’il n’ait pas été plus critique à l’égard du concept de modernité théâtrale qui fonde son approche et qui l’amène à exclure de ce parcours, écrit avec vivacité et élégance, certains des créateurs et des organismes les plus remarquables de l’histoire du théâtre montréalais. Il ne nous propose pas l’ « histoire des pratiques mon- tréalaises de 1940 à 1980 » mais celle d’une quinzaine de troupes déjà bien connues et reconnues. Les « pratiques montréalaises » sont autrement plus riches et diversifiées.



This review “Le théâtre à Montréal” originally appeared in Indigenous Focus. Spec. issue of Canadian Literature 215 (Winter 2012): 191-93.

Please note that works on the Canadian Literature website may not be the final versions as they appear in the journal, as additional editing may take place between the web and print versions. If you are quoting reviews, articles, and/or poems from the Canadian Literature website, please indicate the date of access.

Canadian Literature is a participant in the Amazon Services LLC Associates Program, an affiliate advertising program designed to provide a means for us to earn fees by linking to Amazon.com and affiliated sites.