Les pieuses reliques

Reviewed by Serge Fournier

L’anthologie, pre?pare?e par deux spe?cialistes du re?gionalisme en litte?rature que?be?coise, laisse bien voir que l’ide?ologie du terroir, comme e?le?ment d’identification et de vie, impre?gne le Que?bec franc?ais pendant pre?s d’un sie?cle, de La terre paternelle de Patrice Lacombe (1846) au Survenant (1945) de Germaine Gue?vremont. Ce?le?brant l’espace des campagnes de la valle?e du Saint-Laurent, les valeurs pre?conise?es par les terroiristes s’articulent autour de l’accroissement de l’agriculture, de l’observance des re?gles de la religion catholique, du de?veloppement de la famille — nœud de l’organisation sociale — et de la transmission du patrimoine a? la poste?rite?. Le mouvement s’organise autour de la ce?le?bre confe?rence que Camille Roy, grand ponte de l’e?poque, prononce en 1904. Les principes e?nonce?s par Roy se concentrent sur un objectif : la ne?cessite? pour les auteurs d’e?crire sur le pays en montrant la vie rustique des devanciers. La promotion des valeurs rurales e?tant le nouveau mot d’ordre, poe?tes, romanciers et conteurs exploitent les souvenirs d’enfance, insistent sur le pathe?tique des situations. De toutes les figures de style, la prosopope?e s’impose comme forme rhe?torique privile?gie?. Elle permet aux objets d’e?veiller les souvenirs, et de construire l’effet e?motif attendu. Le « re?cit du terroir » renvoie obligatoirement au passe?, « trait hie?rarchiquement dominant », et a? « l’exaltation d’une vie campagnarde ide?alise?e. En ce sens, il parai?t bien relever du re?gime de la louange, de l’e?pidictique. Aucune objectivite? moderne n’y a cours ». Ce sont les transformations intimes qui vont provoquer le rappel et la sacralisation des origines, l’affirmation de la pe?rennite? des coutumes et la commande d’une conduite a? emprunter en regard d’un horizon plus lointain. Il n’empe?che qu’une fois devenues po?le d’attraction dans la litte?rature que?be?coise, ces the?matiques feront partie du paysage pour longtemps. Elles hanteront la collectivite? sans indices visibles de transformation. Le courant va dominer toute la sce?ne litte?raire et ne sera gue?re menace? par l’E?cole litte?raire de Montre?al et les « Exotiques » dont l’influence restera somme toute assez faible.

Si on emprunte un autre angle, le rapprochement qu’e?tablissent les essayistes entre le terroir d’hier et les altermondialistes d’aujourd’hui ne manque pas de susciter l’inte?re?t. « Il y a un sie?cle, il se trouvait au Que?bec, et ailleurs il faut dire, des gens pour croire que le monde e?tait en danger, que tout allait vers les villes et l’industrie envahissante, que la centralisation allait tout tuer . . . , et qu’il fallait pre?server la terre, menace?e. » Les « verts » d’hier, du coup, nous apparaissent moins comme un groupement droitiste et re?trograde. Les intentions qui motivent les e?cologistes de la plane?te diffe?rent certainement des tenants du terroir, mais le lien tisse? avec les ruraux demeure accrocheur. Il faut dire que les deux groupes se ressemblent, me?me si les moyens de diffusion de leur ide?ologie respective diffe?rent. Le domaine d’intervention principal des terroiristes, alors « qu’on ne pouvait chahuter de re?unions mondiales de banquiers ou de politiques inexistantes et que radio, te?le?vision ou toile tardaient encore, fut la presse ». Sa re?alisation emprunte a? un principe de protection du sol nourricier qui s’accommode de la pre?dication des cure?s, ces derniers voyant la? « une voie pour mieux encadrer et prote?ger [leurs] ouailles ». Mais le combat ne se limite pas aux articles et discours, il se transforme aussi en contribution a? la litte?rature nationale. Outre des succe?s de librairie comme Maria Chapdelaine de Louis He?mon et A? l’ombre de l’Orford d’Alfred DesRochers, les essayistes donnent a? lire des textes qui comptent parmi les « plus grands best-sellers de la premie?re moitie? du vingtie?me sie?cle au Canada franc?ais ». D’ailleurs, les documents formant l’anthologie balisent tout le cheminement terroiriste, depuis « Le vieux hangar » de Camille Roy (qui d’autre?) jusqu’a? « L’he?ritage » de Ringuet, en passant par Adjutor Rivard avec « Le poe?le ».

C’est ce pays physique et ide?ologique qui forme l’objet de l’ouvrage. Tous les chemins emprunte?s conduisent a? la fois a? une meilleure compre?hension et a? une de?finition plus pre?cise du re?gionalisme que?be?cois. De « pieuses reliques » qu’on entretient avec un soin admiratif et qui valent, a? nouveau, le de?tour.



This review “Les pieuses reliques” originally appeared in Indigenous Focus. Spec. issue of Canadian Literature 215 (Winter 2012): 190-91.

Please note that works on the Canadian Literature website may not be the final versions as they appear in the journal, as additional editing may take place between the web and print versions. If you are quoting reviews, articles, and/or poems from the Canadian Literature website, please indicate the date of access.

Canadian Literature is a participant in the Amazon Services LLC Associates Program, an affiliate advertising program designed to provide a means for us to earn fees by linking to Amazon.com and affiliated sites.