L’exiguïté en question

  • Ariane Audet
    Présences intermittentes des Amériques. XYZ Éditeur / XYZ Publishing (purchase at Amazon.ca)
  • Gaston Tremblay
    La littérature du vacuum : genèse de la littérature franco-ontarienne. Éditions David (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Louis-Serge Gill

Dans La littérature du vacuum, Gaston Tremblay propose une réflexion sur la genèse de la littérature franco-ontarienne. Le projet, en soi, est digne d’intérêt. Il faut savoir que, comme il l’annonce lui-même en introduction, l’auteur a participé à la fondation des éditions Prise de parole et qu’en tant que membre de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO), il a été un agent actif de cette genèse.

Le premier chapitre permet, en outre, de mieux connaître ce que l’auteur nomme « L’implosion du Canada français », du XIXe siècle à la formation de l’institution littéraire franco-ontarienne. Essentiellement, l’avènement d’une littérature québécoise autonome au tournant des années 1960 crée un effet de vacuum, « au moment où les infrastructures canadiennes-françaises se recentraient sur le Québec . . . Il ne saurait être question de vivre en français en Ontario, car seule la survie importe dans le vacuum. Étant donné ce mot d’ordre, un tel lieu est nécessairement ouvert aux arrivants, si ce n’est que pour renouveler les effectifs sans cesse amenuisés par l’immersion et l’assimilation. » Par ce concept de vacuum, Tremblay souhaite donc ajouter à l’analyse déjà intéressante et pertinente de François Paré dans Les littératures de l’exiguïté (1992). C’est ainsi qu’alors que la littérature québécoise se dote d’une sphère de grande production, la littérature franco-ontarienne maintient son statut de littérature coloniale. Cette dernière connaît néanmoins ses premiers balbutiements par l’entremise du Bureau franco-ontarien du Conseil des arts du Canada en 1970 pour promouvoir le fait francophone en territoire ontarien.

Les chapitres suivants seront donc dédiés à l’illustration des moyens mis en place pour façonner, à force d’engagements divers, une institution littéraire autonome : bibliothèques francophones, regroupements d’écrivains formels et informels (le CANO et les Communords) et des trajectoires individuelles, notamment celle du dramaturge André Paiement. Sur le plan de la sociologie des institutions, Gaston Tremblay propose une conclusion intéressante : « En dix ans, le champ littéraire franco-ontarien s’est complètement transformé. D’une province abandonnée du Canada français, il est devenu un centre dynamique d’activité littéraire. Par contre, la période de développement est terminée . . . La dynamique du vacuum se transforme en dialectique de l’exiguïté. Dans le vacuum, les artistes et les instances de production ont tendance à se développer plus rapidement qu’ailleurs . . . ».

Dans un prolongement intéressant, l’essai d’Ariane Audet aborde la présence au monde et à l’espace dans les écrits des poètes chicanos et québécois. Au gré de ses observations, l’auteure souhaite montrer que le poème participe « au développement d’une expérience unique de l’habitation marquée par une énonciation du lieu constituée de discontinuités » et que cet espace ainsi habité « n’est pas représenté de manière fixe et que la création d’un espace à soi ne s’effectue pas dans une optique de propriété, mais bien dans un sentiment de perte qui remet en cause les ancrages des sujets dans un espace ». Par conséquent, les présences dans l’espace (celui du poème, le territoire local et le continent nord-américain) se comprendraient par l’entremise des notions d’intermittences et d’ancrages puisque, comme le souligne Ariane Audet, il est rare que l’on jette l’ancre pour toujours. C’est ainsi que dans les « Spatialités », les origines, les « Traversées » et l’« Urbanité », l’auteure de l’essai cherche le mouvement entre les poésies chicanas et québécoises, entre les diverses présences au monde et à l’espace. Au fond, « le passage intermittent entre les deux espaces [référentiel et celui du poème] permet au poème de s’inscrire dans un espace médiatique qui modifie le rapport que les individus entretiennent avec le monde. »

Les propositions et les conclusions de recherche stimulantes d’Ariane Audet permettent non seulement la rencontre de deux univers poétiques qui se méconnaissent (tout en étant méconnus), mais surtout d’illustrer les similitudes et points de rencontre entre deux manières d’habiter le / son monde, d’en délimiter les frontières. Moins qu’une question de survie, ces interrogations tiennent compte de considérations existentielles et communautaires propres à la conscience écologique de notre époque.

En somme, tant l’essai d’Audet que celui de Tremblay nous présentent comment des littératures, sur les plans institutionnels, géographiques et poétiques, cherchent à sortir de la marge pour une visée universelle.



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