Les femmes de lettres canadienne-françaises au tournant du XXe siècle. Nota Bene (purchase at Amazon.ca)
À la suite des travaux précédents de la chercheure, cet essai s’inscrit du côté des approches sociales de la littérature et des études culturelles, tout en « réfléchiss[ant] aux gestes posés par l’historien de la littérature », à partir d’études de cas. Il s’agit de retourner directement aux œuvres pour interroger le contexte, les trajectoires et les pratiques des femmes de lettres de l’époque. Cette « histoire des chaînons manquants » met en lumière le succès des écrits féminins, dans l’espace médiatique et littéraire, et montre comment ces auteures sont marginales « surtout dans le discours qui en rend compte, celui des histoires, des anthologies, des manuels de littérature ». Ce sont les rapports entre la « position occupée dans le champ et les stratégies utilisées par une personne pour faire valoir sa compétence », son autorité et sa reconnaissance qui sous-tendent tout l’ouvrage.
Du général au particulier, les quatre parties qui composent l’essai font le point sur les connaissances de l’époque en dévoilant des informations nouvelles, pour ensuite mieux en déployer les réseaux et les pratiques. Dans un premier temps, il s’agit de montrer l’évolution des pratiques et des trajectoires de trois générations d’auteures. Savoie montre les quatre « facteurs qui déterminent les carrières d’écrivaines » : l’éducation, l’accès à la sphère publique, l’insertion dans des réseaux et l’état civil. À la suite de cet imposant chapitre, la mise à jour des réseaux et des regroupements des femmes de lettres permettent de replacer le contexte national dans celui plus large des préoccupations féminines et féministes à l’échelle internationale. Les pratiques associatives — la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste — et les échanges entre la France et le Québec notamment autour de l’Exposition universelle de Paris de 1900 permettent de tracer des trajectoires jusqu’aux périodiques féminins, dans un « double mouvement d’accès à la sphère publique et de spécialisation des intérêts pour les activités lettrées et intellectuelles ». Poursuivant la réflexion, le troisième chapitre investit ce discours public au féminin par le biais de trois femmes, dans le « double contexte d’une certaine prospérité économique, [et] d’un champ littéraire en début d’autonomisation » : Madeleine, Françoise et Gaétane de Montreuil. Savoie souligne en quoi les « espaces féminins des journaux au tournant du XXe siècle peuvent être [envisagés] comme un avatar moderne, populaire et public du salon littéraire », inscrivant ainsi ces écrits au centre d’un autre héritage culturel au féminin. Le dernier chapitre est consacré aux auteures des chroniques dans les grands quotidiens dans la foulée de la publication de deux recueils signés par des femmes, Françoise et Joséphine Marchand. Cette partie s’intéresse aux enjeux formels qui caractérisent la « pratique de la chronique et du billet », et s’inscrit dans l’élaboration d’une histoire littéraire des femmes, mais aussi dans « une histoire littéraire qui veut considérer les marges, celles qui jouxtent les pratiques jugées dignes de faire date et de nourrir la mémoire collective ».
La démarche de Savoie est généreuse; le dialogue revendiqué avec les thèses et travaux des groupes de recherche pose l’ouvrage au centre d’un réseau. Plus que la monstration de simples conclusions de recherche, l’essai se donne à lire comme un point d’ancrage pour les travaux à venir.