Le parfum de la tubéreuse. Éditions Alto (purchase at Amazon.ca)
Le parfum de la tubéreuse est le récit d’une saison empreinte de doute dans la vie émotionnelle d’une écrivaine et professeure de littérature au collégial. Le métier de la littérature y est vécu comme une alternance de dépressions et de livres écrits « pour s’en sortir ». Cela pourrait être le résumé d’au moins la moitié des livres d’Élise Turcotte. Néanmoins cette nouvelle plaquette écartelée entre la prose poétique et le réalisme gagne des zones qu’on sent inexplorées dans l’esprit même de son auteure. La raison est que Turcotte a choisi de situer son angoisse dans un contexte autrement alourdi par l’agitation sociale et le sentiment historique. « L’atmosphère était fébrile au collège. . . . Les étudiants se préparaient à une grève qui durerait des mois. Mais pour le moment, nous l’ignorions. » La grève se muera en une convulsion à l’échelle de la société. Ce sera le « printemps érable » québécois dont Le parfum de la tubéreuse ne cache pas son ambition de touiller les cendres encore tièdes. Comment s’y prend Turcotte? Par le biais de l’interrogation ; et cela avec une intelligence et une profondeur de vue admirables.
Avoir été enseignant, écrivain, lecteur, artiste et thuriféraire du langage durant ces mois chauds, c’est avoir dû vivre chaque jour avec la question visant non pas à savoir si la poésie peut être politique, mais d’abord si elle peut être partagée. Cette question angoissée occupe à mots couverts le centre du parfum de la tubéreuse. Voilà sans doute pourquoi l’odorat, celui parmi les cinq sens qui se rapporte le plus immédiatement à ce qui existe au milieu de nous et n’appartient à personne — les humeurs, les atmosphères — se voit consacré dans le titre du roman. Les miracles de cohésion collective comme celui du printemps 2012 sont condamnés à la désagrégation dans l’opportunisme récupérateur de leurs lendemains. Restent leurs motifs, la rémanence de leurs clameurs, et de leur atmosphère justement. C’est en ce sens que le récit de Turcotte est une méditation sur le métier d’enseignant qui porte loin. La narratrice se rend réceptive aux résonances des événements, elle rassemble les motifs qu’elle voit s’organiser dans l’air de son temps et tente d’en communiquer quelque chose à une étudiante plus allumée quoique plus imprévisible que les autres. Mais la faculté d’agir, quant à elle, a passé dans l’autre camp. Elle s’est incarnée dans les ressources humaines, dans la bureaucratie pédagogique, et spécifiquement dans le pragmatisme buté d’une collègue de la narratrice qui tente de torpiller sa carrière. Le récit conjugue ainsi les mondes : le rationalisme mesquin est une faillite de l’imagination exactement équivalente à celle dissolvant les exhalaisons symboliques de la foule politique dans le retour au consensus flasque.
La prose de Turcotte est ce qui survit de tout cela. Mais elle exprime une énergie déjà à moitié épuisée d’avoir voulu nommer tout ce qu’elle n’aime pas et tout ce contre quoi elle résiste. L’odeur de la tubéreuse, qu’on croyait autrefois incommodante pour les femmes et déroutante pour les jeunes filles, n’est en rien détestable chez Turcotte. Tout au plus est-elle un peu moite dans ce récit étouffé par sa propre sensibilité et qui donne l’impression de chercher son air.