L’orientalisme au Québec?

  • Janusz Przychodzen (Author)
    Asie de soi, Asie de l’autre : Récits et figures de l’altérité. Presses de l'Université Laval

On s’étonne qu’il ait fallu attendre deux ans pour écrire le compte rendu de ce petit livre publié en 2009 car il est certainement intéressant et il bénéficie de deux préfaces prestigieuses. La première, très brève, de l’historien Yves Laberge, insiste sur l’intérêt d’une étude de l’imaginaire, même quand celui-ci est littéraire. Dans la deuxième, intitulée « Liminaire : Une appartenance orientale », beaucoup plus longue (dix-neuf pages), stimulante bien que très peu structurée, Simon Harel, professeur de lettres à l’Université du Québec à Montréal, et un des premiers grands spécialistes de la littérature migrante, replace le Québec dans le complexe identitaire contemporain, entre la France et l’Europe, la double américanité (étatsunienne et sud-américaine), et un « Orient des lettres québécoises [qui est] [m]oins une extranéité [qu’]une zébrure, la faille d’un eurocentrisme que nous portons avec difficulté » (10), tout en rêvant d’un nouveau passage du Nord-Ouest qui ouvrirait vers l’orient.

Après une « Présentation » des cinq essais très claire par Przychodzen, Danielle Constantin se concentre sur deux romans de Yolande Villemaire pour montrer comment cette jeune auteure « déterritorialise » la langue soit en mettant en scène des récits imbriqués et enchâssés se passant en Amérique mais parsemés de termes sanscrits, soit en réécrivant une tradition culturelle millénaire indienne d’un fils qui veut se consacrer à la danse rituelle traditionnellement réservée aux femmes. Ching Selao montre comment Ook Chung, « canadien-né-au-Japon-de-parents-coréens-écrivant-en-français », écrit pour « sortir de la conception traditionnelle du moi unitaire [en tant que] condition du recouvrement authentique de l’expérience vécue » (Taylor). Michel Peterson étudie l’œuvre de François Peraldi, psychanalyste travaillant sur le mythe de Kâlî pour faire parler « ces mythes [« orientaux-indiens »] que les mythes grecs ont fait taire ». Przychodzen montre que Pierre Saurel, auteur du seul roman d’espionnage canadien des années 50-60, dans sa vision définitivement orientaliste, est moins imprégné de la vision romantique typique des Européens sur l’Orient et davantage de l’idéologie de la guerre froide du duplessisme comme « critique à peine voilée de la modernité ». Enfin, Pierre Rajotte constate qu’avec les récits de voyage publiés après 1940, au lieu de l’idéalisation de l’autre caractéristique des récits d’avant cette date, apparait la négation de l’autre fondée sur une dépréciation de soi évitant tout autant l’intersubjectivité, base de la reconnaissance de l’Autre. On ne peut que regretter qu’à la longue liste de récits de voyage en fin de volume ne soit pas jointe une bibliographie des œuvres clés utilisées.



This review “L’orientalisme au Québec?” originally appeared in Canadian Literature 214 (Autumn 2012): 184-85.

Please note that works on the Canadian Literature website may not be the final versions as they appear in the journal, as additional editing may take place between the web and print versions. If you are quoting reviews, articles, and/or poems from the Canadian Literature website, please indicate the date of access.

Canadian Literature is a participant in the Amazon Services LLC Associates Program, an affiliate advertising program designed to provide a means for us to earn fees by linking to Amazon.com and affiliated sites.