Parce que bien sûr Bologne

  • Alain Farah
    Pourquoi Bologne. Le Quartanier (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Daniel Laforest

Ce livre fort remarqué de l’écrivain montréalais Alain Farah contient en quelque sorte les précédents. Mais si ce n’était que ça, il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat, puisque nous serions encore dans les jeux autoréférenciels qu’on appelait il y a vingt ans « l’écriture postmoderne ». Quelle injure y aurait-il à ranger le roman de Farah sous cette appellation? Une énorme injure. Ce serait celle de méconnaître la qualité rare et fondamentale de Pourquoi Bologne : l’invention d’une forme qui force les lecteurs et critiques à inventer eux aussi leur critères de réception. Nous sommes donc avec Pourquoi Bologne dans la nouveauté au sens fort, c’est-à-dire l’effort en vue d’une adéquation la plus étroite possible entre la vie de l’écrivain et la vie insufflée dans son récit. Cet effort n’est pas fou au sens clinique (n’en déplaise à Farah qui semble parfois le souhaiter), mais il est follement original pour la raison très simple que nul ne possède la même vie et que sa symbiose avec l’écriture, si elle réussit et si elle ne s’éloigne pas de la franchise inhérente au geste, ne pourra être autrement que singulière. On doit insister sur la franchise, car l’effet déroutant que communique Pourquoi Bologne n’est pas dû à sa trop grande exigence, mais au contraire à sa transparence assumée. « La littérature n’arrive pas à la cheville de la vie », dit le narrateur du roman. Et il est vain de chercher à résumer l’histoire de Pourquoi Bologne. Le personnage écrivain est professeur à McGill en 2012; son bureau a vue sur l’ancien réservoir McTavish. Sauf qu’il est aussi en 1962, époque où l’institution qui l’emploi, par le truchement de l’Institut Allan Memorial, entretenait des relations occultes avec la CIA et ses essais de « déprogrammation » du cerveau et de drogues expérimentales. Le narrateur, lui-même dépendant du Midazolam, un sédatif aux propriétés anxiolytiques qu’il prend pour traiter une maladie intestinale chronique, en vient à confondre ses sauts temporels avec la paranoïa et surtout avec sa propre activité d’écrivain. Il se voit tantôt comme un « fou fonctionnel », tantôt comme un fabulateur au bout du rouleau. Son rapport trouble avec un médecin, le docteur Cameron, et les points aveugles dans son histoire familiale (un oncle disparu, sa mère décédée) viendront s’agréger à ces dispositions et l’entraîneront vers une espèce de dénouement frénétique au cœur du réservoir abandonné. Cette intrigue — on maintiendra le mot — est tout à fait divertissante. Elle est de surcroît nourrie par ce que la critique a peu observé bien qu’il s’agisse de la plus grande qualité du roman : une recherche documentaire pointilleuse et pour tout dire époustouflante tant elle reconstitue des pans ignorés et fascinants de la culture urbaine montréalaise.

On dira superflu l’agaçant personnage public de noceur des cocktails littéraires montréalais que s’est créé l’auteur comme un autre lancerait un site internet pour rendre plus visible chacun de ses livres. C’est un dispositif qui annule l’effet désiré (la folie excentrique) en produisant son contraire (le calcul vain). À l’arrivée, cela nuit à l’écriture qui n’en a pas besoin. En effet le lecteur, quelque soit son degré d’intérêt, risque fort d’être happé par le roman car l’écriture de Farah est une machine à inspirer la curiosité en son sens le plus noble. Il s’agit d’une écriture intelligente, et Pourquoi Bologne est un des romans québécois les plus originaux et captivants des dernières années.



This review “Parce que bien sûr Bologne” originally appeared in Queer Frontiers. Spec. issue of Canadian Literature 224 (Spring 2015): 122-123.

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