La Nuit de la muette. Forges
Plus haut que les flammes. Éditions du Noroît
L’Épreuve de la distance : proses et poèmes. Éditions du Noroît
En 2010 parai?t le huitie?me recueil de poe?mes de France The?oret, La Nuit de la muette. Sur la quatrie?me de couverture, on lit que Bloody Mary, le premier recueil de l’auteur, « est devenu l’un des textes emble?matiques de l’e?criture des femmes ». La question est de savoir si le fait d’en appeler a? l’e?criture des femmes, ici, est une circonstance atte?nuante pour l’inanite? de cette poe?sie. De?s le poe?me liminaire, ou? l’on trouve : « la te?le?pathie de ton esprit / accourt jusqu’ici » (oui, une te?le?pathie qui accourt), on constate que The?oret confond trope et improprie?te?. Mais il y a pire. C’est la pre?somption de l’auteur : « comme moi elle aussi a e?te? une affame?e », dit The?oret au sujet . . . d’Anna Akhmatova. La Nuit de la muette comporte deux sections. La premie?re, e?ponyme, re?unit de courtes proses dont on se demande si elles ont e?te? e?crites a? la course; on y perc?oit de l’affliction du fait de l’hospitalisation d’une amie : « Ma re?volte est un feu sans fin. La vie exte?rieure m’inscrit devant la protestation indigne?e. Je suis une antinomie vivante ». Les poe?mes de la seconde section, « Marcher n’importe ou? », se donnent a? lire comme des de?ambulations a? Saint-Pe?tersbourg et a? Montre?al. Mis a? part les six derniers, les poe?mes de cette section sont tous e?crits en vers, lesquels n’exce?dent jamais ou presque le compte de sept mots; cela correspond-t-il au souffle de la poe?te? Le comble est un fac-simile? de poe?me, imprime? a? la fin du recueil, qui laisse l’impression que l’auteur s’imagine de?ja? dans la collection « Poe?tes d’aujourd’hui ».
Le nombrilisme et la pre?tention ne sont pas non plus absents des « proses et poe?mes » de Denise Brassard, lesquels, re?unis sous le titre L’E?preuve de la distance, font suite a? ceux de La Rive solitaire (Noroi?t, 2008) : on trouve ici, en effet, des phrases telles que « Le vent se le?ve sur une page ou? je devrai parler d’errance, d’e?phe?me?re, de rive solitaire » (ou? elle devra? l’auteur aurait-elle des obligations envers quelque organisme qui lui eu?t octroye? une bourse d’e?criture?); il y est abondamment question de « mon e?criture » (on lui sait gre? de ne pas dire, au moins, son « œuvre »); nombre de textes croulent sous les prudences, les appels (titres, sous-titres, de?dicaces, exergues, etc.). Entre un « Bestiaire », en amont, ou? les bonheurs d’expression (« dans cet e?crin de bleu ou? les jours se comptent sur les doigts ») co?toient les inepties (« un parasol se prend pour une fleur »), et, en aval, un « Novembre » (e?videmment de?die? a? Jacques Brault) et des « Ombres de?prises » (qui donnent tout son sens a? l’expression « poe?sie poe?tique »), la section centrale du recueil, elle-me?me sous-titre?e « L’e?preuve de la distance », fait alterner le poe?me et la me?ditation sur celui-ci dans une dynamique somme toute fe?conde, et qui n’est pas sans rappeler, justement, le Il n’y a plus de chemin de Brault. La prose de Brassard, bien qu’e?maille?e de poncifs (« tenter de voir a? nouveau, pour une premie?re fois, ce que la proximite? innombrable rend invisible »), est nettement supe?rieure a? la poe?sie. On trouve peut-e?tre, d’ailleurs, dans celle-la?, une explication quant aux limites de celle-ci : « Le poe?me s’e?crit par cooptation : il s’agit non tant de faire silence, d’e?liminer les scories, de se boucher les oreilles pour entendre sa voix inte?rieure, que de lancer les mots en gravitation dans ce dehors . . . ». Peut-on imaginer meilleur e?loge du flou, aveu plus clair d’abandon?
Plus haut que les flammes, de Louise Dupre?, paru aussi en 2010, redonne envie, a? lui seul, de s’inte?resser a? la production poe?tique actuelle. Indigne?e, horrifie?e par les images qu’elle a collige?es lors d’une visite dans les camps de concentration, l’auteur, a? la recherche d’un espoir, tisse des liens entre la chambre a? gaz et la chambre de l’enfant; d’un me?me souffle, elle interroge le poe?me qui alors « surgi[t] de l’enfer », voire le confronte, exige de lui des comptes. L’exercice est marque? par une pudeur et une rigueur qui font trop souvent de?faut dans la poe?sie actuelle. En de?pit de quelques passages un peu fades (« la joie tient a? un fil / invisible ») ou affecte?s (« rouge Francis Bacon »), une tension est maintenue de la premie?re a? la dernie?re page du livre qui constitue une ve?ritable suite poe?tique. Surtout, Plus haut que les flammes offre a? son lecteur des vers qui re?sistent, auxquels il peut revenir comme a? quelque chose de neuf. Quant a? savoir si cela rele?ve de « l’e?criture des femmes », je laisse a? d’autres le soin d’en juger.