Prises de parole

Reviewed by Patricia Godbout

« Nous sommes partis à la brunante, le soir du 23 avril [1885]. Notre troupe se composait de deux-cents hommes : Métis, Sauteux, Cris, Sioux et Canadiens. Riel nous accompagnait. Dans les haltes, il nous faisait dire le chapelet. » Lire les Mémoires et récits de vie de Gabriel Dumont, c’est se sentir tout proche des événements de la Rébellion du Nord-Ouest dans leur déroulement même, au fil des batailles, des bons coups, des revers, des désertions, des redditions ou fuites vers les États-Unis. On est frappé par l’intelligence tactique de Dumont et par la grande ténacité de ce groupe d’hommes et de femmes que John A. MacDonald appelait avec mépris les « mangeurs de pemmican ». Cette réédition revue, établie et annotée par Denis Combet est bienvenue car elle remet en circulation des textes essentiels à notre compréhension de cette page troublante de l’histoire du Canada. Le lecteur aperçoit notamment Louis Riel à travers les yeux de Gabriel, qui va à sa rencontre au Montana en 1884 pour l’enjoindre de revenir avec lui à Batoche, qui l’aperçoit à cheval au milieu de la bataille, n’ayant pour toute arme qu’un crucifix, et qui le cherchera en vain pendant quatre jours après la défaite, ne pouvant se résoudre à chercher refuge aux États-Unis sans savoir où était son ami, lequel s’était rendu « au camp ennemi ».

Dans un essai polymorphe intitulé Perspectives créoles sur la culture et l’identité franco-ontariennes, Aurélie Lacassagne se désole de l’oubli dans lequel sont tombés « les rêves et la sagesse de Dumont » et déplore une certaine négation du métissage, qui est pourtant une donnée de base du passé des Franco-Ontariens et une condition de leur avenir. L’auteure, d’origine française, explique qu’elle a choisi de s’intégrer à la minorité francophone de Sudbury et de placer ce « Nous franco-sudburois » au centre de son essai. Elle rappelle les études de Fernand Dorais, qui a montré comment une identité proprement franco-ontarienne s’est créée au cours des années 1970 dans le contexte de l’implosion de l’identité canadienne-française. Est ainsi retracée dans les grandes lignes l’histoire de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO), de la fondation de la maison d’édition Prise de parole (qui publie son essai) et du Théâtre du Nouvel-Ontario. Empruntant des notions tant aux cultural studies qu’aux concepts de créolisation d’Édouard Glissant ou à la théorie de Deleuze et Guattari sur les littératures mineures, Lacassagne propose une réflexion sur le rôle de la culture en situation minoritaire, en soulignant le lourd fardeau sur les épaules de ceux qui cherchent à créer un « espace de culture » dans un tel contexte. Une des idées de base de cet essai est celle du rôle de la littérature comme agent de changement social, idée que l’auteure met en acte en proposant des analyses — qu’elle  qualifie elle-même d’hétérodoxes — de poésies franco-ontariennes. Cet essai se lit comme une sorte de bilan, fait par l’auteure, de son engagement envers sa communauté d’adoption, pour laquelle elle prend fait et cause. On a le sentiment qu’elle a voulu lui redonner quelque chose, après avoir été tellement transformée par elle, ce qui l’a poussée vers une forme essayistique délibérément disjonctée — combinant textes de création, réflexions sociopolitiques et analyses littéraires — qui s’accorde avec la disjonction inhérente au sujet dont elle traite.

Le devenir franco-ontarien et métis se construit sur les traces mémorielles et discursives consignées dans des ouvrages comme ceux de Combet et de Lacassagne.



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