Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant. Le Quartanier (purchase at Amazon.ca)
Quand il s’agit de représenter le hockey, la culture québécoise fait beaucoup appel au récit d’enfance et à la nostalgie. C’est le cas en chanson (Sylvain Lelièvre, « La Partie de hockey », 1971), en littérature (Marc Robitaille, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey, 2013), au cinéma (François Bouvier, Histoires d’hiver, 1998). Selon son sous-titre — Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant —, Numéro six d’Hervé Bouchard relèverait également du récit d’enfance. Pourtant, il rompt avec les cadres narratifs, formels et linguistiques du genre, et il ne donne à lire aucune nostalgie.
Le texte raconte le passage de son narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, dans le monde du hockey dit « mineur ». Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, durant les années 1960et 1970, le « numéro six » joue dans diverses catégories, où il est de moins en moins habile, sous la direction d’entraîneurs inégalement doués. Une réalité s’impose à lui : le hockey n’est pas fait pour s’amuser.
À cette éducation sportive se mêlent d’autres expériences : la première cuite, le bizutage, la perte de la virginité. Le narrateur est entouré de personnages dont l’identité est aussi floue que la sienne : son père (le « montreur »), sa mère (la « captive »), des filles aux noms souvent inventés (Pompon Julie), des personnages secondaires à l’onomastique étonnante (Minier Desroches alias Sautillant Blanchon alias Roger Santillon). Autour de lui, c’est la culture populaire (sportive, musicale, télévisuelle) qui domine, pas la lettrée.
Le livre est divisé en neuf « passages », eux-mêmes constitués de fragments souvent brefs. Chacun de ces « passages » est précédé d’un sommaire annonçant son contenu. L’auteur mêle volontiers reprises et variations (de mots, d’évènements). Le ton est parfois à l’humour, comme dans ces cris confondus de deux spectateurs, « Premier bonhomme » et « Second bonhomme » : « Tue-le! Enlevez-la-lui! Tue-le! Enlevez-la-lui! » À d’autres moments, le ludisme ne masque pas la gravité des sujets abordés : « C’était en juillet quand le montreur entier des choses et la naine captive ont eu l’annonce du cancer à venir de l’un et de la cécité de l’autre ».
La langue d’Hervé Bouchard mêle inventions lexicales (« J’ai connu la peur du ftougne »), allusions aux langages religieux (« J’étais nu et tu m’as équipé ») et sportif (« réapprendre la vitesse du jeu en revenant à la base et retrouver le fond du filet » et figures de rhétorique, notamment le zeugme (« Ils couraient nus dans les corridors et dans la joie »). Sa ponctuation rompt volontiers avec la régularité : « J’ai couru dans la rue du Pow-wow devant l’abri des galériens à l’heure où les peupliers asséchés et cuits s’avançaient déguisés vers la caserne des hommes qui portaient des chemises à manches courtes et des lances à poignée ». Numéro six est certes une oeuvre sur l’enfance, mais destinée à un public qui apprécie la singularité narrative, formelle et linguistique maîtrisée.