Réussir sa mayonnaise

  • Éric Plamondon
    Mayonnaise. Le Quartanier

Éric Plamondon avait déjà fait bonne impression avec Hongrie-Hollywood Express, remarquable ovni littéraire paru en 2011 chez Le Quartanier, cette maison d’édition qui accumule les belles trouvailles depuis quelques années. Consacré à Johnny Weissmuller, nageur olympique et interprète fameux de Tarzan au cinéma, ce roman était le premier opus de 1984, une trilogie romanesque construite autour de trois figures américaines dont les destins se trouvent d’une façon ou d’une autre liés à celui du narrateur. Par son titre, par son style, de même que par sa forme fragmentée, l’ouvrage évoquait déjà beaucoup l’auteur de Tokyo-Montana Express, l’écrivain Richard Brautigan. Sans surprise, c’est d’ailleurs lui qu’on retrouve au centre de Mayonnaise, le second volet de la trilogie. Conçu comme une succession d’arrêts sur images tantôt graves, tantôt d’une futilité déconcertante, Mayonnaise est un roman qui mélange habilement les genres et les tons. Il tient à la fois de l’hommage, de la biographie, de l’exercice de style et de l’enquête introspective, mais ne saurait pourtant être réduit à aucune de ces étiquettes. S’il offre une plongée dans la contre-culture de la côte ouest américaine où vécut Richard Brautigan, il n’adopte pas pour autant la forme de la reconstitution historique. La figure de l’écrivain qu’on surnommait « le dernier des beatniks » se recompose par l’addition des petites touches impressionnistes, anecdotes insolites et rapprochements singuliers qui fournissent la matière à la centaine de courts chapitres qui forment l’ouvrage.

On trouve de tout dans cette Mayonnaise : des visages connus (Charlie Chaplin, John Lennon, Gregor Mendel et Ronald Reagan), des lieux plus ou moins familiers (Montréal, San Francisco, le Japon), des chapitres empruntant différentes formes (haïku, mode d’emploi, fait divers, revue de presse) et coiffés des titres les plus étonnants (Phytophtora, Sperme galactique, :-), Pourquoi t’as fait ça, Richard?). Comme on nous l’explique d’entrée de jeu, la réussite d’une mayonnaise tient autant à ses ingrédients qu’au geste qui les lie entre eux; à ce titre, l’émulsion d’Éric Plamondon prend parfaitement et de cette narration non linéaire et fragmentée se dégage néanmoins une forte impression de cohérence.

Multipliant les échos et les correspondances, les différents chapitres forment un kaléidoscope à travers lequel se devinent à la fois le portrait de Brautigan et celui du narrateur, celui-ci trouvant dans certains épisodes biographiques de celui-là le reflet de ses propres pensées souvent douces-amères. Fidèle à la manière de celui dont Philippe Djian disait qu’il possédait le don de faire « tenir une tragédie grecque dans un dé à coudre », Plamondon parvient à aborder les sujets les plus sérieux avec une sensibilité qui se dissimule souvent dans les détails d’une prose en apparence ludique. Ainsi, le récit du suicide de Brautigan en 1984 devient le prétexte à un discours réflexif qui mime la désinvolture pour mieux nous surprendre avec un point final qui a l’effet d’une balle de fusil.

Il faut enfin souligner les qualités d’une écriture à la fois économe et inventive qui possède la double qualité de donner envie de se replonger dans l’œuvre de Brautigan et de lire le troisième volume de la trilogie. Prévu pour 2013, celui-ci devrait mettre en scène Steve Jobs.



This review “Réussir sa mayonnaise” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 182-83.

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