Sur la terre comme au ciel, l’Acadie?

  • Hélène Destrempes (Editor), James de Finney (Editor) and Jean Morency (Editor)
    L’Acadie des origines. Prise de Parole
Reviewed by Thierry Sauzeau

Les contributions de dix auteurs ont été rassemblées dans ce petit livre très documenté qui s’attache à présenter l’Acadie dite « des origines ». L’ouvrage se lit comme un essai de définition. L’Acadie y apparaît sous les traits d’une entité humaine à géométrie, à géographie et à chronologie variables. Le premier écueil, celui de l’assise territoriale, est abordé sous l’angle de la géohistoire. Grâce à l’analyse d’une collection de cartes anciennes, l’Acadie apparaît sous de multiples traits, fonction du statut du géographe et du moment dans lequel s’inscrit son activité. Ce « toponyme sans territoire fixe » pour Samuel Arsenault, devient une représentation au service de projets — la colonisation, la renaissance de la nation acadienne — sous la plume des explorateurs et voyageurs — de Lescarbot à Rameau de Saint-Père — qui fournissent autant de prismes déformants d’une réalité que l’historien peine à restituer, pris au piège d’une documentation qui, lorsqu’elle existe, est le plus souvent orientée. C’est là que James de Finney et Tania Duclos identifient certaines composantes du « récit » national acadien. Un corpus de textes fondateurs sert encore de base culturelle aux témoignages des années 1880-1930, en dépit du fait que le Canada bascule alors dans la modernité industrielle. Les auteurs de cette période sont divisés entre leur obsession pour l’Acadie rurale et catholique d’antan — ou ce qu’il en reste — et la promotion du modernisme. Hélène Destrempes donne corps à cette opposition autour du couple Memramcook — Moncton. La référence à Memramcook, berceau de la nation acadienne rénovée, dans son écrin de verdure, efface ainsi systématiquement la référence à Moncton l’industrieuse, en pleine croissance autour de son carrefour ferroviaire. La littérature du vingtième siècle, reprend d’ailleurs assez largement à son compte ces clichés travaillés sur le temps long et appropriés par les francophones des Maritimes. De Au Cap Bomidon de l’abbé Lionel Groulx à Pas Pire de France Daigle, les fictions recyclent le corpus hérité de l’Acadie mythique, mais Jean Morency souligne qu’il s’agit désormais plus de se démarquer de la légende et moins de la revivifier ou de la personnifier. De ce corpus de représentations, associé à des bribes d’histoire, émergent les contours d’une Acadie des origines qui penche autant vers le mythe que vers l’histoire. L’un de ses « caractères » réside par exemple dans la figure de l’Acadien, tenace, courageux, pieux et brave, que Pierre M. Guérin identifie bien dans les œuvres littéraires inspirées de l’histoire du gouverneur Subercase, dont la défaite fut pourtant fatale à l’Acadie française (1697). Caroline-Isabelle Caron, montre bien comment les éléments constitutifs de ce « mythe » — au milieu duquel trône la figure tutélaire d’Evangéline — servent de plus petit dénominateur commun aux associations de familles acadiennes, qui s’en réclament, tout en s’appuyant essentiellement sur leur environnement bien concret et contemporain pour alimenter leurs activités. Certes, Annette Boudreau souligne bien qu’au-delà de ces aspects imaginaires, la pratique de la langue française dans ses variantes assumées — l’acadien, l’acadjonne et le chiac — est constitutive d’une identité vécue, faite du désir de s’affirmer au sein d’une francophonie plurielle. Reste que cette langue française trouve sous la plume des auteurs des Maritimes une source d’inspiration très riche dans la fondation prospère, le destin tragique et la renaissance énergique de l’Acadie. François Dumont nous entraîne sur cette piste, à la suite de l’essai de Michel Roy, L’Acadie perdue, dans cette quête d’identité que les Acadiens mènent aussi à bonne distance de la trajectoire québécoise. Le recueil de poésie Nous, l’étranger de Serge-Patrice Thibodeau est d’ailleurs compris par Benoit Doyon-Gosselin comme un appel à prendre en compte la diversité de l’identité acadienne, entre fierté et humiliation, entre enracinement et errance. La grille de lecture qu’en propose Monique Boucher, plonge aux racines du mouvement de renouveau national des années 1880, et offre trois idées-forces pour comprendre la notion d’Acadie : la primauté de la notion — positive — d’exode sur celle — péjorative — d’exil; la partition sociale entre des élites acquises à cette notion d’exode et une culture populaire davantage pénétrée par l’idée de défaite et de perte consécutives; la mise en scène symbolique de la mort dans les récits acadiens qui renvoie aux cycles vie–mort–renaissance que connaissent les civilisations anciennes. On ne peut que souligner le caractère très stimulant de cet ouvrage collectif dédié à une question complexe et on regrettera seulement la rareté des références relatives à l’Acadie des îles, autour de Caraquet, autre pôle important de la nation acadienne dans les Maritimes.



This review “Sur la terre comme au ciel, l’Acadie?” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 150-51.

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