Texte et image

  • Réjean Beaudoin (Editor)
    L’essence scripturale du trait gravé: Les livres d’artiste de Lucie Lambert. Éditions du Noroît (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Emmanuel Bouchard

Ce livre rend hommage à une artiste graveur et éditrice qui, entre 1976 et 2005, a fait paraître onze livres préparés avec la collaboration d’écrivains québécois et canadiens. En ouverture et en conclusion de cet ouvrage, les textes de Réjean Beaudoin et de Jean-Pierre Duquette présentent le travail de Lucie Lambert, mais surtout l’esprit qui anime chacune de ses entreprises, ses sources d’inspiration et, plus généralement, le sens qu’elle donne à son art : « Lucie continue de concevoir son art comme ce qui se meut dans un monde de signes et de symboles dont le propre est de dépasser l’aspect sensible des choses pour pénétrer dans un monde supra-naturel. » L’ensemble du collectif met pourtant moins l’accent sur le geste individuel de l’artiste (son esthétique et ses techniques, par exemple) que sur la relation qui s’installe, dans chacune de ses œuvres, entre le texte et l’image. Réjean Beaudoin le signale d’emblée, et les autres collaborateurs le redisent à leur tour : tous les textes que Lucie Lambert a commandés aux auteurs ont été écrits d’après les gravures qu’elle leur a d’abord fournies. Ce principe ne vise pas tant à « renverser l’ordre établi par la tradition de l’illustration, qui consacr[e] le pouvoir séculaire de l’écriture, [qu’à] affirmer l’essence scripturale du trait gravé », note Réjean Beaudoin. Pour Yvon Rivard, les gravures de Lucie Lambert relèvent directement de la création littéraire : elles « étaient autant de mots nés d’une phrase qu’ils ignoraient et que je devais formuler. » Constat semblable chez Robert Melançon, qui, dans son « Éloge de la commande », fait état de l’heureuse difficulté à laquelle le soumet la contrainte de l’image : « ces estampes m’ont dicté ce que j’ai fini par écrire, mais elles m’ont aussi imposé de raturer des trouvailles que j’aurais sans doute gardées en d’autres circonstances. Entre le poème auquel je m’efforçais de donner forme et les neuf bois auxquels ses neuf strophes allaient faire face devait s’établir un rapport qui tenait de la rime. » Quant à lui, Jacques Brault considère ce rapport entre l’image et le texte sous un angle différent, soumettant plus qu’aucun autre l’écriture à sa matérialité ou à celle du travail artistique : « Enfant imagé, imageant, je demeure. C’est ainsi que j’écris, non seulement à l’écoute de la langue, mais aussi en grattant les mots, en mâchant les vers, en respirant les phrases, et que tout autant je perçois tactilement l’essence scripturale du trait gravé. » Le va-et-vient entre le texte et l’image que nécessite la réalisation du travail de Lucie Lambert et de ses collaborateurs produit des effets chez lecteur, qui reconnaît dans ses œuvres « l’âme, le regard, l’esprit » d’une artiste accomplie. C’est peut-être là l’essentiel, le « chemin par où . . . quelque chose [a vraiment] lieu », selon l’expression de Réjean Beaudoin.



This review “Texte et image” originally appeared in Canadian Literature 214 (Autumn 2012): 134.

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