Parenthèses. Lévesque éditeur (purchase at Amazon.ca)
« La nouvelle, il faut se l’approprier » : Lise Gauvin s’applique depuis plusieurs années à suivre ce précepte d’Annie Saumont, qu’elle a placé en épigraphe de Parenthèses. Elle poursuit dans ce troisième recueil de nouvelles la réflexion sur les mouvements intérieurs qui donne toute sa cohérence à son œuvre de nouvelliste. Ses deux opus précédents sont d’ailleurs présents dans la construction même de Parenthèses, qui se partage en trois sections. La première rappelle Fugitives par son titre (« Déplacements ») et par sa façon d’associer l’exploration intérieure aux voyages (dans une Europe aux décors parisianistes ou fantastiques ou dans une Asie méditative); la deuxième, nommée « Arrêts sur image » tout comme le recueil qui a précédé Parenthèses, est celle où la fixité du temps rejoint celle de l’espace. Une psychologie de l’immobilité s’y construit, en dialogue avec d’autres écrivains : Marcel Proust (« Robinson », « L’homme qui dort »), Georges Perec et Stefan Zweig (« Vingt-quatre heures dans la vie d’un immeuble »). La dernière section, « Parenthèses », qui donne son titre au recueil, est consacrée au retour. S’il est à nouveau question d’échapper à soi et à son quotidien en quittant le cadre familier, ce n’est que pour mieux se retrouver : les lieux redeviennent québécois (le Saint-Laurent, un chalet dans la forêt boréale, puis, dans la dernière nouvelle, Montréal) et l’évocation du célibat, de la vieillesse et de l’immersion dans le souvenir sont autant d’indices d’un repli.
Chez Lise Gauvin, l’écriture de « l’expérience intime de la durée » tire sa force d’un travail sur l’image. Aussi le cinéma, la photographie et la peinture sont-ils omniprésents dans Parenthèses : ces arts de l’espace auxquels la narration emprunte des effets d’instantanéité et de perspective soutiennent le déploiement de l’imagination et l’analyse des sentiments. Leur convocation permet l’érotisme (« Un Japonais aux pieds nus »), l’exotisme (« Veille »), l’onirisme (« La dame à l’hermine »), voire l’ésotérisme (« La philosophie au café »). La nostalgie, enfin : dans « Rue Bernard, un 24 juin », le personnage d’Amélie invente son rapport au temps de l’Histoire par la vision. Refusant de regarder les « images en plastique et en caoutchouc » de la fête nationale, elle s’abandonne plutôt aux « images du passé qui tiennent compagnie » et y retrouve intacte « la rhétorique de l’indépendance sur fond de rythme de jazz et de voyageries », à l’époque où « chacun trouvait son espace pour rêver ». Parenthèses semble bien être la quête de cet intervalle à soi. Idées fixes, fantasmes, souvenirs ou symboles, les images font se rencontrer la durée intime et la mémoire, qu’elle soit personnelle ou collective. « Il faut travailler dans le temps », peut-on lire dans la première nouvelle du recueil. La réminiscence et l’imagination approfondissent les instants; les nouvelles de Lise Gauvin savent les circonscrire, comme autant de parenthèses narratives.