Une souffrance sans résignation

  • Jacques Cardinal
    Humilite? et profanation : Au pied de la pente douce de Roger Lemelin. Lévesque éditeur

Le premier roman de Roger Lemelin, Au pied de la pente douce (1944), rompt « avec le discours de l’obe?issance, de la pauvrete? e?difiante, de l’ordre e?tabli, annonc?ant de la sorte le discours e?mancipateur et conque?rant des anne?es soixante ». A? l’instar des Plouffe (1948), il de?peint avec re?alisme et humour un microcosme paroissial en que?te de son identite?. Illustrant une modernite? que?be?coise en voie d’urbanisation, the?a?tre de l’ascendance de l’E?glise catholique sur la collectivite?, ces deux œuvres de Roger Lemelin lui valent une reconnaissance exceptionnelle qui traverse les frontie?res.

Une anne?e avant la parution de Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, autre texte re?ve?lateur des mœurs urbaines de la jeune ge?ne?ration, Au pied de la pente douce illustre pour sa part une re?alite? nouvelle, soit la de?nonciation de l’humilite? d’un certain discours catholique qu’adoptent de faux de?vots « domine?s par des pre?occupations e?goi?stes ». C’est cette fausse repre?sentation de la pie?te?, ce semblant de vertu dont se re?clament de nombreux personnages frustre?s, de?sireux « d’accroi?tre leur pouvoir sur la sce?ne paroissiale », que met en relief Jacques Cardinal, professeur de litte?rature a? l’Universite? de Montre?al, dans son essai Humilite? et profanation (2013), re?cemment paru chez Le?vesque e?diteur.

Abordant Au pied de la pente douce sous un angle d’analyse encore inexplore?, Cardinal va bien au-dela? de l’e?vocation d’une « peinture de mœurs » au ton le?ger et humoristique en s’inte?ressant a? « l’ironie profanatrice » d’un texte qui de?nonce a? travers l’humilite? chre?tienne « le discours ide?alisant du roman de la terre » et, par l’entremise du personnage de Jean Colin, la repre?sentation sublime?e de la souffrance et de la mort qui me?nent a? la transcendance. L’agonie de Jean Colin, pour ainsi dire profane puisque « au service d’aucune sublimation », illustre selon Cardinal une lucidite? cruelle, un refus de « l’appel a? Dieu » contraire aux principes de l’ide?ologie chre?tienne qui appellent a? la mortification, « sinon au martyre, pour e?prouver [la] foi et trouver [le] salut ».

Gra?ce a? la lecture fine et a? l’e?criture mai?trise?e de Jacques Cardinal, l’œuvre de Roger Lemelin, quelque peu « de?laisse?e par les chercheurs », gagne un souffle nouveau. Humilite? et profanation explore avec brio une satire sociale ce?dant peu a? peu la place au « re?cit-cauchemar fait d’angoisse, d’humiliations et de de?sespoir, envers du re?ve et de l’illusion ». Un essai qui saura inte?resser les lecteurs de Lemelin, au service d’un grand roman.



This review “Une souffrance sans résignation” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 134.

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