Journal d'un étudiant en histoire de l'art. Marchand de feuilles (purchase at Amazon.ca)
Adoptant la forme d’un journal intime, le dixième livre de Maxime Olivier Moutier invite le lecteur à suivre, au fil des saisons et des sessions universitaires, le parcours d’un étudiant inscrit au Certificat en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Pensées, réflexions, émotions et fantasmes, mais aussi événement réels, dont la grève des professeurs de l’UQAM à l’hiver 2009 et la pandémie de grippe A (H1N1) de 2009 à 2010, tissent la trame du récit qui peu à peu se développe entre le 30 novembre 2008 et le 22 avril 2011.
Dès la première entrée du journal, le lecteur apprend que l’homme qui tient ce dernier est psychanalyste de formation, auteur de quelques romans, marié et père de trois enfants. Son nom ne sera jamais dévoilé alors que celui des professeurs et chargés de cours du département d’histoire de l’art de l’UQAM le sera. Moutier brouille donc les cartes et, conséquemment, il s’avère difficile de discerner ce qui relève de l’invention ou de la réalité. En entrevue au journal Le Devoir (22 août 2015), Moutier dit ressentir le besoin d’écrire sur ses propres expériences et, dans ce cas particulier, sur son retour aux études. La démarche était donc à la fois personnelle et littéraire.
De manière générale, il est intéressant de découvrir quels artistes l’auteur estime et quels historiens de l’art il lit. Il est clair qu’il parle davantage des artistes que des œuvres. La lecture de ces dernières demeure d’ailleurs plutôt superficielle. Si le nom d’artistes de différentes époques est parfois mentionné, c’est l’appréciation personnelle qui prévaut au détriment d’un positionnement analytique. Étant donné le titre du journal, le lecteur pouvait-il s’attendre à une analyse plus poussée du point de vue de l’histoire de l’art ? D’ailleurs, un lecteur averti notera une erreur de chronologie majeure : Moutier écrit que Marcel Duchamp a peint son Nu descendant l’escalier, sans préciser lequel, dix ans après avoir réalisé son ready-made le plus connu, Fontaine (1917), alors que Duchamp complète le Nu descendant l’escalier no 1 en 1911 et le Nu descendant l’escalier no 2 en 1912.
Au fil des entrées du journal, l’auteur rapporte de manière très détaillée son cheminement académique tout en faisait allusion à ses soucis familiaux et à ceux du quotidien. Malgré la panoplie d’étudiants et d’étudiantes qu’il côtoiera pendant ses études, seule une consœur de classe, Prunella, rencontrée à la première session sera fréquemment mentionnée. De leur camaraderie initiale naîtra une relation beaucoup plus intime et donnant lieu à des retombées fâcheuses. Les autres étudiants seront surtout évoqués en référence à leur comportement en classe. Sur ce dernier plan, Moutier a bien su dépeindre la réalité du monde universitaire d’aujourd’hui où l’utilisation de nombreux appareils électroniques fait en sorte que les étudiants se laissent entraîner dans des mondes virtuels et détournent leur attention du propos des professeurs.
Le point fort du roman est la justesse avec laquelle Moutier décrit la vie étudiante : l’enthousiasme des débuts de session, le stress des fins de session, les travaux rédigés à la dernière minute, mais aussi la crainte de ne pas être en mesure de compléter son programme. Il met aussi en lumière le fait que l’histoire de l’art est une discipline qui s’enseigne à travers les reproductions publiées dans des ouvrages ou projetées dans des salles de cours bien sombres. Dans ses descriptions, au commencement du journal, l’engouement du début de ses études en histoire de l’art trouve écho dans les entrées nombreuses et quasi quotidiennes, tandis que la fatigue et le manque de motivation de la fin de son certificat sont évoqués ou accentués par des entrées rédigées à des intervalles de moins en moins réguliers. Ce changement dans le mode de rédaction du journal a un effet sur la lecture : au début, le livre est difficile à poser alors qu’à la fin, il est facile de le mettre de côté. Le lecteur ressent moins l’urgence de savoir comment le récit va se terminer. D’ailleurs, le dénouement est quelque peu surprenant puisque Moutier a fait le choix de mettre fin au roman avant que son personnage ne se rende à Venise pour y suivre le dernier cours qui lui permettra de compléter son programme d’études. Le choix pourrait-il s’expliquer par le fait que le compte-rendu d’une telle aventure ferait appel à un autre genre littéraire que celui du journal intime, soit le récit de voyage ?