Comme dans un film de Sergio Kokis

  • Sergio Kokis
    Clandestino. Lévesque éditeur
Reviewed by Krzysztof Jarosz

Avec son dernier roman, Clandestino, publie? re?cemment par Gae?tan Le?vesque, son ancien-nouvel e?diteur, Sergio Kokis confirme sa mai?trise. Me?me si au bout de la premie?re cinquantaine de pages son lecteur fide?le retrouve certains motifs re?currents gra?ce auxquels on reconnai?t imme?diatement le cachet de l’e?crivain, Kokis est l’un des rares romanciers a? savoir sortir de ’autofiction par un art de la fabulation qui le hisse au rang des ve?ritables cre?ateurs. Clandestino est l’histoire d’un sergent de l’arme?e argentine, me?canicien expert dans le maintien d’instruments de pre?cision, qui consacre ses loisirs a? forcer des coffres-forts, histoire de joindre les deux bouts. D’origine allemande (un autre avatar du moi auctorial qui, de roman en roman, aime mettre de l’avant ses origines centre-est-europe?ennes), Toma?s Sorge conside?re son me?tier de militaire de carrie?re comme un simple job, tout en portant sur son pays et sur ses supe?rieurs hie?rarchiques un regard lucide qui lui permet de de?voiler des motifs ignobles et e?goi?stes que les ge?ne?raux argentins cachent derrie?re une fac?ade de patriotisme cocardier et leur lutte contre des e?le?ments « subversifs ». De?nonce? par un officier sur l’ordre de qui il a de?valise? le coffre d’un se?nateur influent, il est condamne? a? six ans de travaux force?s a? Ushuai?a, camp de travail situe? dans la re?gion fue?gienne, qui joue le ro?le de la Sibe?rie argentine. Quand sa peine touche a? son terme, on lui propose de servir, apre?s la libe?ration, les inte?re?ts louches d’une organisation militaire clandestine fonde?e pour assurer la se?curite? des ge?ne?raux de la junte, force?s de de?missionner suite a? la guerre des Malouines lamentablement perdue, et craignant a? juste titre que les civils au pouvoir ne tentent de de?busquer et de punir les crimes de la dictature. Toma?s, anime? par un de?sir de vengeance, le gardera secret (donc clandestin) pour tous, au sein de l’organisation clandestine fonde?e par des officiers des services secrets de l’arme?e. De retour a? Buenos Aires, sous l’identite? nouvelle de Jose? Capa que ses nouveaux mai?tres lui ont procure?e, il se met au service du capitaine qui l’avait de?nonce? et accomplit consciencieusement pour celui-ci et pour l’organisation des ta?ches qui nuisent a? la re?cente de?mocratie argentine. Plusieurs articles de presse parus a? la sortie du roman insistent sur la similitude entre Sorge-Capa et Edmont Dante?s, ce?le?bre he?ros du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas. Il se peut que l’auteur joue sur cette ressemblance au de?but, mais ce n’est que pour mieux la de?faire ou pluto?t pour mieux la de?monter discre?tement, tout au long du re?cit, et surtout dans sa fin abrupte. D’ailleurs, sauf erreur, Dumas n’est jamais mentionne? dans le roman, tandis que l’est au moins deux fois le western de Sergio Leone de 1966, Il buono, il brutto, il cattivo. La premie?re partie du roman, qui raconte l’exil de Toma?s Sorge au bagne, laisse supposer que le he?ros, une fois libe?re?, mettra en œuvre son plan de vengeance qui lui permettra de survivre dans un milieu hostile, tandis que dans la seconde partie Jose? Capa doit se soumettre a? d’odieuses compromissions avec ses bourreaux, de?cide de punir par l’attente jamais comble?e sa bien-aime?e qui l’a abandonne? lorsqu’on l’avait emprisonne?, et re?gle a? sa manie?re, sans doute re?aliste mais combien cruelle, la mission d’e?viter des souffrances a? sa fille, que lui a confie?e un ami casseur avant de mourir. Ce redresseur de torts en puissance devient donc, force? il est vrai par les circonstances mais sans e?prouver trop de remords, un exe?cuteur subalterne au sein d’une sorte de mafia. Seul le grand talent de l’auteur qui focalise sa narration sur le personnage principal ne permet pas de mesurer dans toute son ampleur l’ignominie des actes commis par Toma?s-Jose? a? qui on finit par pardonner toutes ses actions. Deux pistes russes accompagnent l’intertexte filmique : La de?fense Loujine de Nabokov, a? cause de la fonction inestimable que le jeu d’e?checs repre?sente dans la vie de Sorge-Capa, et Dostoi?evski dont le souvenir irrigue explicitement ou implicitement chaque ouvrage de Kokis et qui semble servir ici, de concert avec les films de Leone, a? relativiser la dichotomie morale des romans d’aventures et des westerns classiques dont Clandestino, un roman noir, de?montre et de?monte le sche?matisme et la nai?vete? pour les remplacer par un inquie?tant re?alisme psychologique.



This review “Comme dans un film de Sergio Kokis” originally appeared in Canadian Literature 214 (Autumn 2012): 169-70.

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