Le français en question

  • Yves Charles Morin, Paul Cohen, Serge Lusignan and France Martineau
    L’Introuvable unité du français: Contacts et variations linguistiques en Europe et en Amérique (XIIe-XVIIIe siècle). Presses de l'Université Laval (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Chantal Phan

Voici un volume d’orientation académique, qui plaira à toutes sortes de lecteurs. Ancrées dans de solides habitudes de recherche, les quatre études proposées ici donnent des aperçus de l’histoire de la langue française, qui étonneront, amuseront, feront réfléchir. Les notions combinées de norme et de variation informent les analyses. Deux des auteurs sont linguistes et les deux autres sont historiens; ils ont en commun un intérêt de longue date pour l’histoire de la langue française en contexte.

Il est impossible de considérer la langue comme un système figé. Les transformations constantes du vocabulaire, de la grammaire, du style sont bien sûr ce qui permet aux structures linguistiques d’évoluer, de s’adapter. L’importance de cette variabilité se saisit d’autant plus clairement face aux textes des époques choisies ici, les XIIe-XVIIIe siècles. Les versions concurrentes des textes français (divers dialectes, différences entre écrit et oral) firent du Moyen Age la grande époque de la variante. Pourtant, jusqu’au XVIIIe siècle, la présence de plusieurs dialectes remet constamment en question le concept de français standard, même dans la production écrite.

Cette problématique se trouve tout d’abord dans le chapitre 1, de l’historien Serge Lusignan. L’auteur traite avec brio un sujet fort disparate. En commençant par les célèbres Serments de Strasbourg, il passe en revue la langue populaire ancienne (lingua romana), le franceis d’Angleterre étudié pour sa primauté littéraire et son influence sur la prononciation continentale, puis la diversité dialectale des XIIe-XVe siècles et le françois d’Ile-de-France.

Le chapitre 2, de Paul Cohen, également historien, s’intéresse aux événements liés à la politique de la langue, choisissant cinq dates-clés dans un ordre délibérément insolite : 1532, 1567, 1525, 1540 et 1752. Les nombreux détails donnés dans ce chapitre éclairent utilement et de manière souvent amusante des dates et étapes célèbres telles que l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (1540) qui imposait le français dans tout le Midi (où il n’était pas parlé de tous) et la publication de la Défense et illustration de la langue française du poète Joachim Du Bellay (1567).

Le chapitre 3, du linguiste Yves Charles Morin, se penche sur la norme de prononciation du XIVe au XVIIe siècle, qu’il dit imaginaire. C’est une époque de règles et de règlements. Cependant il y a la prononciation de la ville et celle de la cour; celle de la ville reste si variable que de nombreux accents populaires sont incompréhensibles pour les gens de la cour. L’auteur explore la prononciation des diphtongues et triphtongues, celle des voyelles ouvertes et fermées, les caractéristiques du français de Provence, puis les hésitations de l’orthographe, par exemple les essais de simplification de Lartigaut (« l’ortografe francêze »), tendance qui malheureusement n’a pas pris.

Le dernier chapitre, de la linguiste France Martineau, adopte une méthode très différente. Portant sur la région atlantique, les sections historiques et explicatives sont suivies de résultats d’enquêtes statistiques au sujet d’expressions de la cause : à cause que, parce que, pource que, car. Repérées dans des textes du XVIIe siècle à nos jours, puis dans des documents oraux pour l’époque récente, les occurrences de ces expressions permettent de distinguer des phénomènes de variation. Ce chapitre fait donc le lien entre l’histoire et le présent.

Si les méthodes et points de vue différents des quatre auteurs surprennent au premier abord, l’on comprend vite l’avantage qu’il y avait à préserver ces techniques et horizons divers. Les philologues trouveront en ce livre un trésor de réflexions fines et bien documentées, qui remettent efficacement en question certaines idées préconçues. Tous les lecteurs de ce livre se régaleront des explications claires et des exemples étonnants, et peut-être surtout ceux qui glaneront ici un peu d’histoire de leur propre coin de la francophonie.



This review “Le français en question” originally appeared in Of Borders and Bioregions. Spec. issue of Canadian Literature 218 (Autumn 2013): 171.

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