Par petites lampées

Reviewed by Geneviève Dufour

Le fragment est une forme qui semble chère à l’auteur André Carpentier. Il en est à sa troisième œuvre du genre, exploitant le bref et le discontinu. Extraits de cafés s’insère donc dans une lignée de récits (Mendiant de l’infini. Fragments nomades et Ruelles, jours ouvrables. Flâneries en ruelle parus comme Extraits de cafés aux éditions Boréal) qui mettent de l’avant les talents d’observateur de l’écrivain. L’œuvre est divisée en deux parties : « Au gré du temps » et « Au gré des carnets » fractionnées, elles aussi, en sous-parties. La première section, comme son nom l’indique, répertorie les anecdotes selon l’heure du jour, tandis que la seconde organise les événements selon des thèmes : l’amour, la solitude, le mouvement, la lecture. Dans l’ensemble, il s’agit de brefs textes reposant sur la description. Or, les événements sont rendus non pas par l’entremise de la consignation minutieuse mais plutôt par le biais du détail signifiant capable de saisir en peu de mots l’essence d’une ambiance, les traits d’un inconnu, d’un serveur. André Carpentier parvient rapidement à cerner les singularités de chacun, à dresser des portraits, des esquisses de portraits devrait-on dire, vu la brièveté avec laquelle sont présentés les protagonistes de ses récits. Cette brièveté est permise grâce à l’usage efficace de la métaphore et de la métonymie : « Ici, des vieux aux yeux mouillants, dont un bonhomme avec des abajoues de hamster, auprès d’une dame d’autrefois. Plus loin, sur une table, gît une main tremblante de vieille femme, à mi-chemin d’une tasse vide et d’un reste de gâterie. » Ici, l’acuité du regard n’est pas le fondement de l’écriture puisque la représentation souvent métonymique amplifient les traits décrits. Ainsi, construire un portrait fidèle n’est pas la finalité des fragments. Celle-ci repose en fait sur le rendu des pérégrinations réflexives de l’auteur attablé, seul, devant son café. Il médite sur la création littéraire, sur la philosophie, sur les figures d’écrivains. L’influence de Merleau-Ponty et de sa Phénoménologie de la perception est d’ailleurs aisément repérable. Ce dernier est cité explicitement à quelques reprises et les sens, atteignant parfois un niveau de saturation, sont convoqués dans le rendu de l’expérience : « J’en viens, dans une confusion des sens, à écouter des visages, à toucher des voix, à sentir des murs, à goûter des parfums, à fixer des brioches, et c’est là que tout commence. » On explore la phénoménologie comme on pèse le poids de la solitude. Les cafés sont certes le lieu de la foule, mais aussi un repère pour les solitaires. Bref, il s’agit d’une œuvre à consommer par petites lampées car elle reprend sans cesse le même leitmotiv et crée un effet de redondance.



This review “Par petites lampées” originally appeared in Prison Writing. Spec. issue of Canadian Literature 208 (Spring 2011): 143-143.

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