Le Fraçais en cause

  • Chantal Bouchard
    Méchante langue: La légitimité linguistique du français parlé au Québec. Presses de l'Université de Montréal (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Isabelle Violette

L’histoire sociolinguistique – tant récente qu’ancienne – du Québec est ponctuée de débats récurrents sur la qualité de la langue qui y est parlée. Avec Méchante langue, Chantal Bouchard revient sur ce qu’elle qualifiait d’« obsession québécoise » dans un précédent ouvrage qui a fait date. Dans La langue et le nombril (Fides, 1998), Bouchard dressait l’évolution des perceptions négatives entretenues à l’égard du français parlé du 19e siècle à la Révolution tranquille. À l’issue de cette monographie restait toutefois à expliquer la soudaine perte de légitimité linguistique recensée à partir de 1840, d’autant plus frappante que le français était jugé conforme au bon usage avant la Conquête britannique. C’est à cette tâche que se consacre Chantal Bouchard dans son plus récent ouvrage en proposant comme hypothèse les conséquences (socio) linguistiques de la Révolution française. Dans les deux premiers chapitres, l’auteure cerne le rôle clé joué par la nouvelle bourgeoisie au pouvoir en France dans l’adoption de nouvelles formes de prestige et la dévaluation d’anciennes marques distinctives. Or, selon Bouchard, la dépréciation du français parlé au Québec n’est pas uniquement due à l’écart qui se creuse alors avec la nouvelle norme, faute de contacts avec la France. La cause est également d’ordre idéologique : la visée uniformisatrice de la Révolution française a eu pour effet d’imposer un modèle de langue unique qui rend la variation fautive. C’est donc à dessein que, dans les sections suivantes, Bouchard repère les traits caractéristiques du français québécois au 19e siècle et analyse la première querelle linguistique qui éclate en 1841, à la suite de la publication du Manuel des difficultés les plus communes de la langue française de l’abbé Maguire. Bouchard démontre que la polémique entre les lettrés québécois tient surtout à la difficulté d’établir à distance la norme parisienne contemporaine. Si les débatteurs s’entendent pour affirmer que le français parlé au Québec doit être conforme à celui des Parisiens instruits, ils évaluent différemment cette conformité – d’où leur désaccord – puisque les ouvrages normatifs de l’époque se contredisent sur les marques de bon usage. Ainsi, c’est à la reprise des contacts avec la France que le sentiment d’illégitimité linguistique s’accentue, nourri qu’il est de l’idéologie de la langue homogène, héritière de la Révolution française.

Cette monographie présente de nombreuses qualités. Outre le fait que la lecture est rendue agréable par un souci de concision et de clarté, le propos d’ensemble reste accessible aux non spécialistes. L’auteure dose efficacement théorie, contextualisation et démonstration sans faire l’économie d’une documentation étoffée sur les traits linguistiques en concurrence aux 18e et 19e siècles en France et au Québec. Cet ouvrage, qui va aux sources de l’aliénation linguistique québécoise, suscitera certainement l’intérêt des littéraires qui explorent les rapports entre langues et sociétés dans la littérature franco-canadienne. Par ailleurs, cet ouvrage a le mérite de démontrer les mécanismes sociaux qui président à l’établissement des marques de prestige linguistique. Un rappel, qui tout en étant historiquement ancré, arrive à point nommé dans un contexte actuel toujours marqué par la délégitimation des usages non standard.



This review “Le Fraçais en cause” originally appeared in Recursive Time. Spec. issue of Canadian Literature 222 (Autumn 2014): 127-28.

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