Je suis la fille du baobab brûlé. Mémoire d'encrier (purchase at Amazon.ca)
« Ceci n’est pas un poème », déclare le poète dans le prologue de Je suis la fille du baobab brûlé, le recueil le plus récent de Rodney Saint-Éloi, écrivain et fondateur de la maison d’édition Mémoire d’encrier. Le poète offre une méditation sur l’exil et la migration, méditation qui reprend certains motifs habituellement associés à l’expatriation tout en modulant cette expérience à travers son parcours personnel.
L’auteur s’appuie sur une imaginaire géographique multiple, qui évoque tantôt l’Afrique, dont l’image la plus importante serait le baobab mentionné dans le titre du recueil, tantôt Haïti, et, dans une moindre mesure, un Nord lointain et enneigé. Ce trajet à travers ces différentes régions retrace en partie les pas de Saint-Éloi lui-même, né en Haïti et installé à Montréal depuis 2001. Néanmoins, les ancêtres africains hantent ces différents territoires : même les traditions haïtiennes mentionnées ont souvent des racines qui proviennent du continent africain telles que les danses afro-haïtiennes Nago, Ibo et Pétro. Outre ces références spécifiques, le poète suggère un va-et-vient constant entre ces territoires en intégrant un champ lexical propre au mouvement : les pirogues, les chemins mystérieux, les « dieux nomades », tout est mélangé dans le manque de « certitude géographique » de la narratrice.
C’est la fille du baobab du titre qui prend la parole dans tout le poème, jouant ainsi le rôle de masque fictif du poète. Pourtant, vers la fin, ce masque se complique. La grand-mère Tida, qui apparaît dans d’autres poèmes de Saint-Éloi et qui, comme l’auteur a lui-même dévoilé lors d’entretiens, l’a inspiré alors qu’il faisait ses premiers pas dans la littérature, se révèle être aussi la grand-mère de la fille du baobab. Ce détail, qui n’échappera pas aux lecteurs déjà familiers avec l’œuvre et la figure publique de Rodney Saint-Éloi, situe rétroactivement le livre, cette fois-ci en faisant plus de place à la fiction autobiographique (ou faudrait-il plutôt dire autobiographie fictive ?) qu’à la première lecture. Comme son compatriote et camarade en migrations Haïti-Québec, Dany Laferrière, Saint-Éloi tire profit de ses « je/jeux » multiples pour raconter, re-raconter, modifier, manipuler l’histoire individuelle de l’exil, reproduite à travers des générations et des continents, entreprise sous la force violente de la traite, l’obligation économique ou politique.
« Je suis à la fois la fille, l’arbre, et la route », nous confie la fille du baobab dans le prologue. Cette identité fluide révèle la nature du poète qui porte de multiples masques dans son écriture, pour des raisons esthétiques ou autres. Mais le masque est aussi l’accessoire de l’immigré loin de son pays natal, l’outil de survie du descendant de l’esclave, conscient de la nature violente de la migration qu’ont subie ses ancêtres. Dans Je suis la fille du baobab brûlé, Saint-Éloi nous offre ce masque comme une nouvelle réflexion de l’expérience de migration, faisant appel à une longue tradition d’imaginaire afro-caribéenne.