Simplicité volontaire

  • Roger Payette and Jean-François Payette
    Une Fabrique de servitude: La condition culturelle des Québécois. Éditions Fides (purchase at Amazon.ca)
  • Janusz Przychodzen
    De la simplicité comme mode d’emploi. Le minimalisme en littérature québécoise. Presses de l'Université Laval (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Louis-Serge Gill

Déjà en 1962, le militant et écrivain québécois Hubert Aquin publiait un essai bien connu, « La fatigue culturelle du Canada français », dans lequel il explicitait les raisons économiques, philosophiques, voire même ontologiques, de l’inexistence politique des Canadiens français au profit d’une surproduction culturelle.

À la suite d’Aquin, de Serge Cantin et d’autres philosophes, sociologues et historiens qui se sont intéressés à la question, Roger Payette et Jean-François Payette nous offrent Une fabrique de servitude : la condition culturelle des Québécois où ils démontrent qu’il existe un engrenage, un « aliénomoteur », bien huilé, de la servitude propre aux Québécois. Ces derniers sont-ils, ou non, les artisans de leur propre incapacité à avoir une emprise sur le réel? Les auteurs placent le problème de la domination du côté de la production culturelle. Voués à ne pas avoir d’emprise sur le réel et à se réaliser dans un faire, les Québécois demeurent dans un dire qu’ils développent à outrance par le truchement d’œuvres d’art et de chansons, mais aussi, et c’est le cœur de la thèse des auteurs, dans les œuvres littéraires. Dans ces écrits, tout particulièrement, cet « aliénomoteur » se constitue et se transmet. Ainsi, « il faut démonter la mécanique du dire pour la comprendre, comprendre qu’elle peut autant servir la liberté qu’assujettir ce dire à un dessein d’oppression. » Le dire libère ou assujettit, c’est selon. Cependant, tout au long de l’ouvrage, c’est l’assujettissement qui nourrit la démonstration.

Les discours littéraires circulent entre les individus, les groupes et les nations, et reflètent la réalité sociale d’une époque, voire de tout un siècle. Pourtant, parmi ces discours qui circulent dans la société québécoise, les auteurs en ont privilégié trois qui, bien qu’emblématiques de moments successifs de la culture québécoise, ne témoignent pas forcément de tout ce qui se trouve en amont et en aval. D’Un homme et son péché (1933) de Claude-Henri Grignon aux Belles-sœurs (1968) de Michel Tremblay, en passant par le téléroman La petite vie (1993-1998) de Claude Meunier, le lecteur découvre l’avarice, l’incapacité de créer des conditions propices au changement et l’enfermement des Québécois face à la politique. Des mots comme « liberté », « indépendance » et « politique » inspirent la crainte de personnages et d’individus qui préfèrent le soliloque aux grands discours publics. Quant au faire, il semble ne se limiter qu’à des tentatives charnières : les rébellions de 1837-1838 et la Révolution tranquille.

L’essai s’appuie sur une riche documentation et, en faisant dialoguer des sources aussi diverses que Serge Cantin, Micheline Cambron, Paul Ricoeur, Jean-Paul Sartre et Boris Cyrulnik, propose une réflexion intéressante pour quiconque s’intéresse au sort du Québec dans les rouages de la domination. Cependant, l’intérêt aurait été tout autre si l’on avait accordé une voix au chapitre à une plus grande diversité d’œuvres littéraires et surtout, si l’on s’était attaché à illustrer le contexte de production desdites œuvres puisque ce qui rassemble Un homme et son péché, les Belles-sœurs et La petite vie, est vraisemblablement leur large diffusion et leur grande appréciation du public. Si ces œuvres atteignent un large public, c’est qu’elles offrent au dit public une occasion de réfléchir sur lui-même. Revenons à la prémisse : l’absence de prise collective sur le réel des Québécois se manifeste dans leur « culture sociologique catatonique que décrit admirablement son art, particulièrement sa littérature, culture sociologique qui aujourd’hui est devenue elle-même un dispositif favorisant l’acceptation de leur subordination politique. » (p. 14) Difficile de se sortir de ce raisonnement autrement qu’en posant un regard critique sur soi-même, ce à quoi confie inévitablement Roger et Jean-François Payette.

À l’opposé de ces réflexions politiques, Janusz Przychodzen nous offre un ouvrage surprenant sur le minimalisme en littérature québécoise. La question de départ est fort riche : comment un style devient-il une forme, une poétique? Plusieurs aspects de cette poétique du minimalisme sont dévoilés dans cet essai sur une manière d’habiter le monde par les mots. En alliant à la fois les motifs, les discours, les incongruités, les événements et les non-événements, Przychodzen nous entraîne sur les traces de la littérature en « mode mineur » chez Louis Gauthier, Aki Shimazaki, Jacques Poulin et Dany Laferrière.

Cette « simplicité comme mode d’emploi » trouve ses assises théoriques et pratiques aussi bien chez Theodor Adorno que chez Maurice Blanchot. Peu discuté, le concept de minimalisme littéraire se rapproche du silence et de l’intimisme. Par exemple, comment l’écrivain peut-il fait des questions morales, des questions de style ? Par exemple, comme le relève Przychodzen chez Adorno, le minimalisme a une valeur éthique vouée à l’exploration de la subjectivité. L’exploration de la subjectivité passe, entre autres, par une descente dans le silence blanchotien qu’évoque l’œuvre de Louis Gauthier, Voyage en Inde avec un grand détour. Ce voyage qui n’en est pas un déconstruit l’idée d’aventure, « résultat de l’implosion de tout un monde social, culturel, politique et historique. » Chez Aki Shimazaki dans Le poids des secrets, la simplicité de l’intrigue s’ancre dans la sensibilité. Ainsi, sont passés sous lorgnette de l’analyste toute une série d’éléments révélateurs de la recherche d’une vie simple, « imaginée en tant que source de bonheur et idéal de l’existence naturelle, sur l’arrière-fond d’un environnement social complexe et même hostile ». Dans le Volkswagen blues de Jacques Poulin, c’est Jankélévitch et la conquête du sérieux qui domine. Chez Laferrière, dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, c’est primitivité, sexualité, éphémère et fragmentation qui prévalent pour en arriver à une « poétique de la chose », par la réification ou par l’attention accordée aux détails.

Malgré la richesse de ces analyses qui nourriront à coup sûr l’intérêt pour le minimalisme en littérature québécoise, il nous manque, en guise de conclusion, une synthèse de ces études qui allient brillamment narratologie et théorie critique.



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