Poe?mes (1975-1984). Éditions du Noroît
Il faut saluer l’initiative des E?ditions du Noroi?t de re?e?diter les poe?mes de Michel Beaulieu e?crits entre 1975 et 1984. Cela nous permet de les relire, en dehors du contexte imme?diat qui les a vus nai?tre, et de les entendre d’une fac?on plus de?tache?e des contingences historiques pour les situer vraiment dans l’espace poe?tique auquel ils appartiennent.
Il s’agit, dans ces textes, d’une voix qui module la langue et le langage selon une prosodie singulie?re qui fait large la place re?serve?e a? la narrativite?, comme tous les critiques l’ont e?crit. Ce qui leur confe?re une proximite? qui les rend plus accessibles, principalement dans le beau recueil intitule? Visages, le plus acheve?, je crois, qu’ait e?crit l’auteur. « Il ne reste rien des alentours, e?crit Beaulieu, qu’un halo de lumie?re. » Et c’est ce halo que le texte tentera de rendre pre?sent et efficace par « l’invention d’un monde en le vivant jusqu’aux racines de l’imagination ».
Il y aura donc, dans ce recueil (de me?me que dans les autres qui composent cette re?e?dition) une transposition du monde quotidien rempli d’ennui, un ennui lourd, glauque, avec lequel la conscience incarne?e (y compris le corps grave dont parle Kale?idoscope) doit composer, dont elle va tenter par tous les moyens (drogue, e?rotisme, voyage, etc.) de se libe?rer afin de rencontrer un toi re?dempteur qui lui permettra d’envisager la mort autrement. « Nul jamais ne mourra qui a su nai?tre en toi. »
Le lecteur se laisse emporter par ce mouvement gra?ce auquel toute cette angoisse, ces de?ceptions, ces culs-de-sac explore?s jusqu’au bout du voyage sont quelque peu estompe?s, re?duits en quelque sorte a? un certain nombre d’accidents de parcours ne?cessaires a? la poursuite de ces voyages qui se succe?dent de ville en ville. Pas moins de trente-et-une villes sont parcourues, a? la recherche d’on ne sait quoi au juste et dont on ne rapporte que quelques impressions fugaces ou quelques souvenirs souvent tristes, qui n’ont point permis que les murs de la prison enfin s’effondrent.
L’essentiel e?tait, a? ce qui semble, le bruit des pas sur l’asphalte, des roues sur les rails, des pneus sur le macadam, de l’air dans les ailes de l’avion, des mots dans le grand espace du langage gra?ce auquel la conscience peut enfin retrouver son souffle en me?me temps qu’une certaine coi?ncidence passage?re, certes, mais non moins re?elle pour autant : « Peut-e?tre apre?s tout s’agit-il / de vivre masque?s », « Je m’enfonce palpable dans les mots / toujours plus profonde?ment ». Tout cela, me?me « si rien ne comble jamais cette faille ».
Plusieurs ont insiste? sur le fait que Michel Beaulieu a e?te? l’un des premiers et des plus illustres poe?tes de l’urbanite?. Dans cette poe?sie, en effet, ou? tout se passe dans des lieux clos, la ville est l’un de ces espaces les plus e?loquents. Finies les grandes envole?es dans l’azur gaspe?sien, les infinis cosmiques que Grandbois fre?quentait autant dans ses poe?mes que dans ses textes en prose. Avec Beaulieu, le lecteur est de?finitivement ramene? a? la ville et a? ses paradis artificiels, la promiscuite? des corps me?me si l’a?me, l’esprit, la conscience n’y trouvent pas souvent leur compte. Sous la peau, il n’y a rien, « La pierre au fond du fleuve interdiction ».
C’est surtout dans Kale?idoscope que s’exprime cette fermeture avec une sorte de re?signation. Les portes sont ferme?es, les murs e?leve?s, mais au moins il y a du bois dans le foyer et les corps peuvent s’abandonner au jeu de la se?duction de la chasse garde?e, de la de?ception, etc. « La fluidite? de la ville / ou? se re?tre?cit ton territoire / jusqu’a? la peau de chagrin. » Tout cela jusqu’a? la dernie?re ville « ou? tu reviens au bout du compte des voyages des se?jours », la ville de l’enfance retrouve?e avec une certaine nostalgie.
Sans oublier le fait que dans ces textes, comme il en est chez tout poe?te authentique, il s’agit d’une sonorite?, d’un langage qui tente de devenir parole et le devient aux moments les plus forts du texte. Cet art propre a? Beaulieu de me?ler le banal avec le sublime, le prosai?que avec un certain mythique camoufle? sous les traits de villes et de femmes toutes plus e?sote?riques les unes que les autres, alimente ce langage dans lequel une voix singulie?re et originale nous parle d’un lieu qui, maintenant que le poe?te n’est plus, se manifeste a? nous avec une e?vidence qui e?tait passe?e presqu’inaperc?ue au moment de la premie?re publication de ces textes.